Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/902

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’y survécurent pas une année. Il en est de même de la question des céréales. Pendant long-temps elle n’a pas été plus whig que tory ; lord Melbourne déclarait dans la chambre des lords que l’abolition des corn-laws était l’idée la plus insensée qui fût jamais entrée dans un cerveau humain ; lord John Russell, peu d’années auparavant, s’était également prononcé pour le maintien des lois protectrices de l’agriculture nationale. Avec le temps, les idées du chef du parti whig s’étaient grandement modifiées. En 1841, il proposait la modification des corn-laws ; plus tard, il proposait une nouvelle réduction du tarif et l’établissement d’un droit fixe au lieu d’un droit mobile, mais il était toujours opposé à l’abolition radicale de toute protection. En attendant, la question de la liberté commerciale s’était incarnée dans une association indépendante des partis ; elle faisait son chemin toute seule, révolutionnant d’abord l’esprit public avant d’agir sur la législature. Certes, la ligue était bien forte ; elle avait fait en quelques années d’immenses progrès : elle avait rallié toutes les grandes villes manufacturières, elle avait pénétré jusqu’au fond des campagnes, et avait porté sa propagande des ateliers dans les chaumières avec une audace et un succès toujours croissant. En dernier lieu, elle avait fait brèche dans le système électoral même, et avait en plusieurs cas substitué son influence à la domination jusque-là incontestée des influences locales. Eh bien ! malgré cette force en apparence si formidable, malgré ces progrès si constans, malgré cette invasion si menaçante, la ligne aurait pu attendre long temps encore l’heure de son triomphe final, si elle était restée en dehors des partis politiques proprement dits, et si le chef d’un de ces partis ne l’avait prise pour drapeau. C’est là ce qui fait la grande importance de l’attitude que vient de prendre lord John Russell. La cause de l’abolition totale des corn-laws avait un chef et un parti dans le pays, elle a maintenant l’un et l’autre dans la législature ; la révolution était accomplie en principe, elle le sera bientôt en fait.

Lord John Russell passe, et avec raison, pour l’homme de son pays qui se connaît le mieux en tactique parlementaire. Il a attendu tranquillement, dans ces derniers temps, que sir Robert Peel prît un parti ; il a laissé passer conseil sur conseil, sans rien dire, mais n’en pensant pas moins. Si sir Robert Peel avait pris une résolution hardie, telle qu’il était facile de la prendre au moment de la crise ; s’il était allé au-devant d’un avenir inévitable en prenant lui-même l’initiative de l’abolition totale des corn-laws, il enlevait sa position à lord John Russell, et le parti whig restait pour long-temps encore dans l’oubli et dans l’impuissance. Le moment était favorable ; des craintes de famine, considérablement exagérées par l’esprit de parti, avaient préparé la voie ; la résistance des intérêts agricoles était presque vaincue à l’avance, et on regardait la chute immédiate des corn-laws comme certaine. Sir Robert Peel n’en aurait pas même eu la responsabilité. Mais, loin de là, il a réfléchi, il a délibéré, il a ajourné, et il a perdu l’occasion. C’est alors que lord John Russell est apparu sur la scène, et que, prenant la place que laissait