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L’Angleterre, au contraire, fournit aux campagnes les choses de première nécessité, comme des étoffes, des tissus ; elle habille les gauchos. Son représentant dans la Plata inclinait du reste si bien à la paix, qu’il consentait à faire annuler comme frauduleux les contrats d’acquisition des compagnies anglaises qui ont acheté à vil prix une partie du sol montévidéen. La République Orientale et sa capitale sont épuisées d’argent. La légion étrangère, qui constitue toute l’armée de la république, et dans laquelle on ne compte qu’un très petit nombre d’Orientaux, est dans un dénuement complet, et cependant le pays tout entier est tenu en échec par des meneurs peu dignes d’estime que la France a la faiblesse d’écouter et de seconder à ses dépens.

Tout cela est-il vrai ? Si telles sont les convictions du ministère, pourquoi sa conduite les dément-elle ? Pense-t-on, au sein du cabinet, qu’il n’y a ni sagesse ni profit à faire la guerre pour empêcher Oribe de rentrer à Montévidéo ? Qu’on le dise. C’est le devoir du gouvernement d’éclairer l’opinion, et de vouloir avec fermeté les choses qu’il juge le plus utiles. Au lieu de s’irriter si fort contre M. Thiers, qui réclame avec fermeté et persévérance l’exécution de l’article 4 du traité du 29 octobre 1840, nous aimerions mieux voir les amis du cabinet nous dire avec franchise ce qu’ils pensent et ce qu’ils savent. Quand on croit qu’il serait désirable que les deux rives de la Plata fussent placées sous la même autorité, on a sans doute, sur le compte de Rosas et d’Oribe, des opinions arrêtées. Pourquoi ne pas travailler à les faire partager au pays ? À nos yeux, dans une aussi grave affaire, tout intérêt de parti disparaît devant un intérêt plus général, devant celui qu’a la France de connaître la vérité pour ne pas compromettre son nom et sa puissance.

En Angleterre, la politique, depuis long-temps aussi calme qu’elle l’était en France, vient d’être réveillée par l’apparition d’un manifeste du chef de l’opposition, lord John Russell. Le chef illustre du parti whig, dans une lettre adressée à ses électeurs de la Cité de Londres, proclame sa pleine et entière adhésion à la ligue contre la loi des céréales, et se prononce pour l’abolition radicale de tout droit sur l’importation des grains étrangers. Cet évènement, car c’en est un pour l’Angleterre, est d’une importance décisive pour la cause de la liberté commerciale, et en assure, dans un temps rapproché, le succès, déjà établi depuis long-temps en principe. Pour bien apprécier l’effet que la démonstration de lord John Russell est appelée à produire, il ne faut pas oublier qu’en Angleterre aucune question d’intérêt public ne se résout qu’à l’aide d’un parti. On y a souvent vu beaucoup de questions naître et grandir sans se rattacher directement à aucun des grands partis parlementaires ; mais, pour se réaliser, pour passer dans l’action, il a toujours fallu qu’elles prissent une couleur. L’émancipation des catholiques a été, en principe, proposée par un ministre tory : c’est M. Pitt qui le premier voulut la porter dans le parlement ; il échoua contre la résistance de la couronne. Alors la question devint whig, et ce sont les whigs qui finirent par l’imposer au ministère du duc de Wellington et de sir Robert Peel,