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a été à la tribune l’éloquent organe, et que M. Guizot a combattue. Quand M. le ministre des affaires étrangères luttait contre M. Thiers, il ne prévoyait pas sans doute qu’il se laisserait aller plus tard à faire ce que lui demandait son antagoniste. Quelles raisons ont été assez puissantes sur son esprit pour amener une modification aussi sensible : M. Guizot nous le dira à la tribune dans quelques semaines. Nous ne prétendons pas anticiper sur ses explications par des hypothèses ; nous ne voulons pas non plus insister davantage sur le désir qui a pu l’animer de complaire à l’Angleterre : nous attendons ses paroles, et il nous suffit de constater sa nouvelle attitude.

Dans ces derniers temps, M. le ministre des affaires étrangères paraît avoir voulu suivre à la fois deux politiques ; il a voulu tout ensemble intimider Rosas et le convaincre, parce qu’en préparant des moyens d’agression, son désir le plus intime était de conserver la paix. Blâmons-nous donc ce désir ? En aucune façon. Nous ne blâmons pas davantage, comme l’ont fait quelques journaux, l’envoi d’un agent d’une intelligence et d’un dévouement éprouvés, M. Page. Dans des affaires difficiles, un gouvernement a bien le droit d’employer les moyens et les hommes qu’il croit utiles ; seulement il faut réussir. M. Page quitta Paris quelques semaines avant M. Deffaudis, notre représentant officiel sur les rives de la Plata ; il se rendit auprès de Rosas, et il croyait avoir réussi à tout aplanir, quand M. Deffaudis arriva. Quels incidens traversèrent alors la négociation de M. Page : c’est ce que nous ne prétendons ni savoir ni expliquer. Sans doute, lorsque M. Deffaudis dénonçait l'ultimatum commun à la France et à l’Angleterre, il ne faisait qu’exécuter les instructions qu’il avait apportées avec lui, et c’est ici que se manifeste la tentative malheureuse de faire marcher de front deux politiques contradictoires. M. Page, agent convaincu et hardi de la politique pacifique, n’hésitait pas à faire à Rosas des concessions qu’il jugeait raisonnables et nécessaires. Rosas ne voulait pas abandonner Oribe. Celui-ci compte dans son armée douze mille Orientaux, et seulement cinq à six mille Argentins. Aussi Rosas soutient-il qu’Oribe a pour lui une majorité nationale, et qu’en l’appuyant il n’attente pas à l’indépendance de la République Orientale ; il offrait même de retirer de l’armée d’Oribe ses six mille Argentins, si on ne donnait pas à ce dernier l’exclusion dans l’élection présidentielle de la République : Orientale. Probablement M. Deffaudis ne crut pas devoir accepter cette base de la négociation.

Autour du ministère, on ne cache pas cette opinion, qu’il est déraisonnable d’intervenir dans les affaires de la Plata ; on ne craint pas non plus d’annoncer que l’Angleterre elle-même reculera bientôt dans la voie nouvelle ou elle vient d’entrer, tant les sacrifices qu’entraînerait la guerre peuvent dépasser tous les calculs. Nous nous trouverions alors avoir tristement compromis les intérêts de notre commerce. La France envoie surtout à la Plata des objets de luxe, comme des vins fins et des articles de fantaisie. Tout cela s’adresse aux villes ; si nous les bloquons, nous nous nuisons à nous-mêmes.