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qui s’appelle l’Orégon, du nom que les Indiens ont donné à la rivière Colombia. C’est ce territoire qui peut devenir aujourd’hui entre l’Angleterre et les États-Unis l’objet des contestations les plus épineuses. Le débat n’est pas d’hier. En 1807, en 1815, en 1818, il y eut des négociations à ce sujet. À cette dernière époque, on sembla s’estimer heureux de part et d’autre de laisser la question indécise, et on déclara l’Orégon également accessible aux Américains et aux Anglais. Cette convention fut renouvelée en 1827. Sera-t-elle aujourd’hui l’objet d’une prorogation nouvelle ? Le statu quo créé par les conventions de 1818 et de 1827 a été beaucoup plus favorable à l’Angleterre qu’aux États-Unis. En effet, la Grande-Bretagne est représentée dans l’Orégon, non par des sujets isolés, mais par une compagnie puissante, la compagnie de la baie d’Hudson, que le gouvernement de la Grande-Bretagne a eu l’habileté d’investir d’une véritable autorité politique. Du côté des Américains, au contraire, il n’y a que des individus qui, malgré leur nombre, se trouvent vis-à-vis de l’établissement anglais dans une véritable infériorité. Telle est la situation qu’aux États-Unis le parti démocratique déclare intolérable. C’est ce parti qui a porté M. Polk à la présidence, en raison même des sentimens qu’on lui connaissait sur la question. Pour changer le statu quo, il n’y a que deux moyens : une convention nouvelle ou la force des armes. Déjà, dans les négociations précédentes, on a de part et d’autre épuisé toutes les subtilités de la diplomatie. Les États-Unis, outre les droits qui résultent de leurs propres explorations, ont invoqué le traité de la Floride du 22 février 1809, par lequel l’Espagne leur a cédé tous ses droits sur la côte nord-ouest du continent américain. Au XVIIe siècle, quand nous étions maîtres du Canada, nous avions aussi poussé nos explorations du côté de l’Orégon, et si, par ces expéditions aventureuses, nous avions acquis quelques droits, nous les avons transmis aux États-Unis. De son côté, l’Angleterre argumente de l’établissement de la compagnie de la haie d’Hudson, qui remonte au règne de Charles II. Elle argumente des explorations de Mackenzie et du capitaine Vancouver ; elle déclare au surplus qu’elle ne prétend pas à la souveraineté exclusive d’aucune des parties de l’Orégon. Toutes ses prétentions, disait-elle dès 1826, se réduisent à l’occuper en commun, conjointement avec d’autres états.

Ce partage, au fond, l’Amérique n’en veut plus ; elle est profondément blessée de voir l’Angleterre garder et fortifier sa position sur le littoral de l’Océan Pacifique, et faire de l’embouchure de la Colombia comme un entrepôt de marchandises anglaises. Jusqu’où cette irritation entraînera-t-elle les États-Unis ? En 1843, les whigs ont encore eu assez de force pour faire repousser, tant dans le sénat que dans la chambre des représentans, des mesures qui auraient violé ouvertement les conventions de 1818 et de 1827, et amené la guerre. Aujourd’hui le parti démocratique est plus puissant, et il est encore enhardi par l’heureuse issue de l’annexion du Texas. L’Amérique est dans un état de croissance, et l’appétit des conquêtes lui est venu : de telles