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remarque dans les cours, et dont nous avons indiqué la source, la moyenne des prix s’élève au-dessus du niveau commun.

Cependant, puisque les entraves mises à l’importation ont pour effet de renchérir la marchandise, on se demandera comment il se fait que ce renchérissement, si favorable en apparence au producteur, ne soit pas pour l’industrie même un stimulant ; question délicate, à laquelle pourtant la réponse est simple : c’est que dans tout établissement agricole il y a deux personnages différens qui prennent part au bénéfice, le cultivateur et le propriétaire, et ce n’est pas au profit du cultivateur que le prix de la denrée s’élève.

Quelle est, dans le produit d’une exploitation rurale, la part qui revient communément au propriétaire sous le nom de rente ? Quelle est celle qui reste au cultivateur ou exploitant comme profit de l’exploitation ? Quelque complexe que cette question paraisse, et quoiqu’elle ait été, entre des économistes célèbres, l’objet de longues controverses, il nous sera facile de la résoudre, sous le seul aspect du moins qui se rapporte à notre objet.

Les propriétaires possesseurs d’usines d’une nature particulière, qui ne sont pas susceptibles de se multiplier au gré des volontés humaines, jouissent, comme nous l’avons vu, d’une sorte de monopole ; mais ce privilège ne s’étend pas jusqu’aux cultivateurs. Si le nombre des exploitations rurales est borné par la nature, le nombre des hommes qui peuvent s’y établir à titre de fermiers ne l’est pas : ceux-ci rentrent par conséquent dans la condition commune. Ils subissent sans restriction, comme tous les autres industriels, la loi générale de la concurrence, en vertu de laquelle tous les bénéfices sont ramenés à une sorte de niveau ; aussi ne peuvent-ils en général ni être réduits à des avantages moindres que ceux de tous les autres industriels, ni porter leurs prétentions au-delà des bénéfices qu’on se procure ailleurs avec la même somme d’activité, de talens, de capitaux. Qu’ils obtiennent moins que cela, aussitôt ils déserteront la culture pour se réfugier dans l’industrie des villes, et les propriétaires seront forcés, pour les retenir, de baisser les fermages ; qu’ils portent au contraire leurs exigences plus loin, ils trouveront à l’instant même des concurrens qui viendront, en proposant des fermages plus élevés, leur disputer la préférence. On peut donc dire du cultivateur, en général, qu’il obtient en temps ordinaire, et toutes choses égales d’ailleurs, des avantages pareils à ceux qu’on se procure dans tous les autres emplois de l’industrie. Il va sans dire que tout ceci n’a rien d’absolu ; c’est une règle commune à laquelle tous les cas particuliers se rapportent plus ou moins.