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un long bail, il est impossible qu’ils calculent les conséquences définitives qu’il doit avoir sur leur bien-être et sur celui de leurs familles[1]. »

Il nous reste à montrer que la liberté de l’importation, qui est d’une si médiocre importance si on la considère comme un moyen de combler le déficit des récoltes, est, à d’autres égards, d’une importance vitale, en ce qu’elle est la condition nécessaire de la modération des prix à l’intérieur.

Autorisée sous tous les gouvernemens, quels qu’ils fussent, l’importation n’a été prohibée ou restreinte, comme nous l’avons vu, que dans les états constitutionnels modernes. Quel a été le but de ces restrictions ? C’est de favoriser l’agriculture : tel a été du moins le but apparent ou le prétexte. En repoussant les produits étrangers, on a voulu d’abord assurer au cultivateur la possession exclusive du marché national, ensuite produire une hausse factice dans le prix des marchandises. C’est par ce double privilège, un débit assuré au dedans et un prix plus élevé qu’il ne le serait sous l’action d’un commerce libre, qu’on a prétendu à la fois enrichir le cultivateur et l’encourager à perfectionner son travail. Que ce procédé soit inefficace pour déterminer le progrès de la culture, c’est ce que l’expérience démontre tous les jours. Il est pourtant certain qu’il tend à exhausser les prix. En vertu de quel principe cette hausse se produit-elle ? comment se fait-il qu’elle ne soit pas un stimulant pour la culture ? C’est ce qu’il nous reste à expliquer.

Lorsque les lois repoussent, par des prohibitions ou des droits, certains produits étrangers, elles établissent naturellement, au profit des producteurs indigènes, une sorte de monopole. Il est bon de remarquer toutefois que ce monopole change de caractère selon la position ou la nature de l’industrie à laquelle il se rapporte. Si cette industrie est, à l’intérieur, accessible à tout le monde, de manière que des établissemens rivaux puissent se multiplier à l’infini, le monopole du producteur indigène n’est pour ainsi dire que relatif, en ce sens que, mis à couvert de la concurrence étrangère, il rencontre au dedans une concurrence assez vive pour le forcer à modérer ses prix. Si, au contraire, l’industrie favorisée n’est accessible qu’à un certain nombre d’hommes, et qu’à l’intérieur même elle soit limitée dans son développement, ou par la nature des choses, ou par les lois, le monopole est absolu, et rien n’empêche ceux qui en jouissent de l’exercer dans

  1. Huskisson’s Speeches.