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surgissent. Que viennent-ils faire en pareil cas sur le marché ? Y apporter des réserves antérieures ? Ils n’en ont point, puisque leur rôle commence. Non : ils viennent, comme nous l’avons dit, exploiter la circonstance, et, dans un temps de pénurie et de hausse, spéculer sur les chances d’une hausse encore plus forte. Sur un marché déjà peu garni, ils viennent augmenter la concurrence des acheteurs ; dans un temps où la marchandise est déjà chère, ils l’enlèvent dans la prévoyance d’un renchérissement encore plus prononcé, et ils contribuent ainsi, sans y prendre garde, à préparer cette cherté excessive qu’ils ont prévue. Il y a loin de là à cette intervention régulière et toute de prévoyance d’un commerce établi. Ce n’est pas qu’après tout, même dans ces circonstances défavorables, l’entremise des commerçans ne soit encore un bien. C’est par eux que le marché intérieur se nivelle et que le trop plein d’un endroit se déverse sur un autre ; c’est par eux aussi que sont importées du dehors les quantités plus ou moins considérables que l’étranger peut fournir. Cependant il est évident que le commerce des grains exercé dans de semblables conditions perd la plus grande partie de sa vertu. Jamais ce commerce n’accapare lorsqu’il est libre : il soutient les prix quand ils fléchissent ; mais, loin de les exagérer encore lorsqu’ils s’élèvent, il vient au contraire les modérer. Pourvu, dans ce dernier cas, de ses réserves antérieures, le commerçant se garde bien de spéculer sur les chances d’une hausse excessive qui n’arrivera point : il aime bien mieux réaliser par la vente un bénéfice certain, en profitant de l’exhaussement actuel des prix, d’autant plus que, sachant que ses magasins ne sont pas les seuls fournis, il éprouve le besoin de ne pas être prévenu. C’est ainsi que tour à tour il empêche tous les excès, qu’il modère à la fois et la hausse et la baisse, prévient la disette et la surabondance, et qu’il maintient enfin, au grand avantage de tous, une égalité de prix presque inaltérable.

Voilà comment les faits s’expliquent. On peut comprendre maintenant cette alliance singulière de deux faits en apparence incompatibles : des envois continuels au dehors et une abondance constante au dedans. Phénomène remarquable, et pourtant naturel et simple, que les uns ignorent, parce qu’ils ne s’enquièrent point des faits dont ils se prévalent toujours, et dont les autres nient l’existence, parce qu’ils ne le comprennent pas.

Après ce que nous venons de dire, on pressent déjà comment la faculté d’exporter, si favorable au consommateur, est en même temps