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de larges débouchés, un horizon vaste, une grande facilité dans ses opérations, et c’est surtout au commerce de spéculation que cette observation s’applique. Il ne s’acclimate guère dans les lieux où tout est borné, concentré, fini. Que ferait-il en effet dans ce cercle étroit où les lois prohibitives l’enserrent ? On ne se charge guère d’une marchandise aussi encombrante que les céréales, et d’une garde si difficile, quand on n’est pas sûr de pouvoir, dans le cas d’une nécessité pressante, l’écouler au loin. Aussi, dans tous les pays où les envois au dehors sont entravés, il n’y a point, à proprement parler, de commerce de grains. Partout, excepté peut-être dans le voisinage des capitales et dans quelques lieux privilégiés, les cultivateurs vont au marché voisin vendre directement leurs grains, par petites portions à la fois, aux meuniers, aux boulangers, ou quelquefois aux derniers consommateurs. Nulle part on ne voit de commerçans spéculateurs qui les enlèvent par masses pour ensuite les écouler au loin. A la vérité, quand, après une mauvaise récolte, la disette se montre avec ses périls et ses alarmes, et qu’à la suite d’un extraordinaire exhaussement des prix les barrières s’abaissent, on voit tout à coup apparaître et fondre sur cette denrée une nuée de spéculateurs sortis de toutes les professions pour exploiter la circonstance ; mais en temps ordinaire on peut dire avec vérité que le commerce des grains n’existe pas. Telle était la situation de la France sous la restauration, et, quoique cette situation se soit à coup sûr améliorée depuis ce temps sous l’empire d’une loi plus libérale, elle laisse encore à cet égard beaucoup à désirer. Telle est encore aujourd’hui la situation de l’Angleterre, et tous les rapports, même ceux du gouvernement, l’attestent. Pour comprendre les conséquences de cet état de choses, il suffit de considérer de près la fonction que le commerce remplit.

Plusieurs économistes ont déjà montré fort judicieusement que l’intervention des commerçans, dont on se plaint quelquefois comme d’un surcroît de charges pour les producteurs et les consommateurs, est presque toujours une véritable économie pour les uns et pour les autres ; que ces intermédiaires, en réunissant plusieurs opérations en une seule, et en faisant à la fois pour de grandes quantités réunies ce que chaque producteur serait obligé de faire pour les petites portions dont il dispose, obtiennent dans les transports, les manipulations, les emmagasinages et les ventes une économie de frais également profitable à tous, et qu’ainsi, malgré le salaire qu’ils prélèvent avec raison, leur entremise, loin de grever les produits d’une dépense nouvelle, les rend presque toujours à de meilleures conditions de prix.