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puisse admettre sérieusement une telle supposition. Non, sa situation besoigneuse ne vient pas de l’excès de sa population ; tout repousse une telle hypothèse. Cette situation est l’effet naturel et nécessaire des lois. En veut-on une autre preuve de fait ? la voici. Si la législation française est, quant aux céréales, beaucoup plus libérale que celle de l’Angleterre, elle est en revanche, par rapport à la plupart des autres produits agricoles, la plus illibérale de toute l’Europe. Elle frappe de droits plus ou moins élevés à l’importation les lins, les chanvres, les laines, les graines oléagineuses, les chevaux, les moutons, les bêtes à cornes, en un mot tous les produits du sol. Nul autre pays n’oppose d’ailleurs à ces produits des tarifs plus rigoureux. Eh bien ! que l’on consulte nos états de douanes, et l’on verra que l’importation de ces mêmes produits est en France, toute proportion gardée, plus considérable que dans aucun autre pays du continent. Le phénomène, si étrange qu’il paraisse, est donc réel. Ce qui achève de l’expliquer, c’est que les entraves mises à l’importation des denrées du sol en élèvent toujours les prix à l’intérieur, et donnent ainsi un avantage marqué aux denrées étrangères.

Supposez maintenant que les lois existantes accordent toute facilité, toute latitude aux exportations des grains : alors le débouché s’étend, de nouvelles voies s’ouvrent à la vente, et le cultivateur, découvrant devant lui un horizon plus large, une carrière sans limites, proportionne ses opérations à l’étendue des besoins qu’il doit remplir. Soit qu’il affecte une plus grande étendue de terres à la culture des céréales, soit qu’il exploite avec plus d’activité, de sollicitude et de fruit celles qu’il y a consacrées précédemment, il travaille à verser sur un marché plus vaste une plus grande abondance de produits. La denrée se multiplie en raison de la demande. On peut même dire que sous un tel régime l’accroissement de la production surpasse celui de la consommation même, car les débouchés à l’extérieur ont cet avantage, inappréciable pour le producteur, de n’avoir point de borne fixe, arrêtée, infranchissable ; de pouvoir s’étendre d’une manière indéterminée à l’aide de quelques efforts et de quelques sacrifices, tandis que la consommation locale, naturellement limitée, ne se prête, s’il est permis de s’exprimer ainsi, à aucune espèce de transaction ; et rien n’est plus décourageant pour le producteur que de voir, une fois les besoins satisfaits, qu’il ne peut se défaire de sa marchandise à aucun prix. Ainsi la faculté d’exporter encourage la production et multiplie les ressources. Comment le pays viendrait-il alors à souffrir de la disette ? Dans les années communes, il produit au-delà de ses besoins,