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grains des terres précédemment affectées à d’autres usages. Viennent ensuite les années fertiles, et aussitôt, grace à l’extension précédemment donnée à la culture, le trop-plein se manifeste. Plus le déficit a été grand dans les années mauvaises, plus la réaction d’une année fertile se fait sentir. Les prix tombent, les marchés s’encombrent, les greniers des cultivateurs demeurent chargés d’un surcroît de marchandise dont ils ne trouvent nulle part le débouché ; c’est ainsi que la détresse des cultivateurs succède à la détresse du pays. Bientôt se manifeste un mouvement contraire, et on prévoit déjà les conséquences. Voilà comment un pays cerné par des lois prohibitives est sans cesse ballotté entre des écueils opposés, mais également funestes. Il suffit d’avoir étudié ce qui se passe en Angleterre depuis 1815, ce qui s’est passé en France même durant le cours de la restauration, et d’avoir suivi avec quelque attention les mouvemens de l’agriculture dans les deux pays, pour reconnaître la justesse infaillible de ces observations.

Allons plus loin. Nous disions tout à l’heure que, dans un pays fermé par des lois prohibitives, la production suffit à peu près à la consommation dans les années communes. Cette hypothèse, toutefois, n’est pas entièrement exacte. On comprend, en effet, qu’une récolte supérieure aux besoins réduisant trop souvent le cultivateur à l’impossibilité absolue de vendre, il craint encore plus la surabondance produite par une année fertile, qu’il ne désire et n’espère la disette causée par une année mauvaise. Il se montre donc en général plus circonspect qu’ailleurs, aspirant à demeurer plutôt au-dessous qu’au-dessus des besoins, et telle est l’infaillibilité de ce sens intime qui guide la production, que l’effet répond à son calcul. Il arrive de là, chose étrange, que ce pays si âpre à se défendre contre l’importation est précisément celui qui éprouve le plus souvent l’irrésistible besoin d’appeler à lui les denrées étrangères, et qui en définitive importe le plus. Qui ne reconnaît à ces traits l’histoire de l’Angleterre ? Nul autre pays n’est aussi rigoureux à repousser les grains étrangers, et nul autre n’en consomme en réalité davantage. On suppose, il est vrai, que le peuple anglais n’éprouve ce besoin fréquent d’appeler à lui les ressources du dehors que parce que son territoire ne suffit point à le nourrir ; mais, quand on considère d’une part combien l’Anglais est en général peu consommateur de pain, de l’autre combien la culture des céréales est actuellement restreinte en Angleterre, et conséquent combien il resterait de terres à y consacrer si le faisait sentir, on ne comprend guère qu’un homme sensé