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gaiement nonobstant les réclamations de Mlle Irène, laquelle se récriait, disant qu’elle n’irait jamais à pied jusque-là. Or, il était impossible de l’emmener en carrosse par les sentiers pierreux qui rampaient au flanc de la colline.

En passant près d’une maisonnette de paysan, située à une portée de fusil du village où les Colobrières allaient tous les dimanches entendre la messe, Dominique Maragnon avisa deux longues oreilles velues qui passaient entre les barres d’une claire-voie.

— Tranquillisez-vous, mademoiselle Irène, s’écria-t-il ; vous allez voyager commodément, sans aucune fatigue.

— Je n’aperçois pourtant ni chaise à porteur, ni voiture, observa la demoiselle de compagnie en soupirant.

— Non, mais il y a dans cette étable un animal d’allure paisible, solide sur ses jambes, et qui ne demandera pas mieux que de vous porter tout doucement jusque là-haut.

— J’ai monté à cheval dans un temps, répondit Mlle Irène en jetant un regard dédaigneux sur le baudet qui frottait son muffle grisâtre contre les barreaux ; mais il faudrait être vraiment la fille ou la femme d’un meunier pour voyager sur cette bourrique.

— Que dites-vous là, mademoiselle ? interrompit Dominique Maragnon ; et la fuite en Égypte et l’entrée à Jérusalem ? Je pourrais vous faire voir vingt tableaux où les plus vénérables personnages n’ont pas d’autre monture.

— Enfin ! cela vaut encore mieux que d’aller à pied, dit entre ses dents Mlle de la Roche-Lambert.

Dominique Maragnon entra dans la maison du paysan, et, jetant un petit écu sur la table, il commanda qu’on amenât le baudet tout harnaché dans le chemin. Les deux cousines et Gaston s’étaient arrêtés à vingt pas de la maisonnette. Tandis que le paysan s’empressait de tirer son âne dehors, et que sa femme apportait le bât et le licou, une femme, qui était demeurée au fond de l’espèce de grange qui servait tout à la fois de salle et de cuisine, se rapprocha furtivement de la fenêtre fermée en tout temps par un volet de chêne ; elle regarda à travers les fentes, et reconnut les personnes qu’elle n’avait fait qu’entrevoir lorsque Dominique Maragnon avait ouvert la porte ; elle reconnut Anastasie, Mlle Maragnon et le cadet de Colobrières. Un instant plus tard, le paysan rentra avec sa femme, et tous deux s’écrièrent :

— Qu’as -tu donc, la Rousse ? comme tu es blême !

— Je n’ai rien…. j’ai froid, répondit-elle en s’approchant du foyer