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les épaisses ramées qui n’appartenaient à personne, la végétation couvrait d’inextricables rameaux de verdure la base abrupte des rochers.

Un matin, Gaston et sa sœur descendirent les pentes arides au-dessus desquelles s’élevait le château de Colobrières, et prirent le chemin du vallon. Ils allaient ainsi, sans enfreindre les ordres de leur père, rendre à Mlle Maragnon la visite qu’elle leur avait faite huit jours auparavant. Anastasie marchait d’un pas léger, le cœur rempli d’une joyeuse impatience. Le cadet de Colobrières, au contraire, ne semblait pas pressé d’arriver, et se détournait à chaque instant de sa route pour battre les buissons avec son grand lévrier Lambin. À mesure qu’il avançait, il ralentissait le pas, et l’on eût dit vraiment qu’il redoutait d’atteindre le but de sa promenade. Pourtant il avait songé toute la semaine à cette espèce de rendez-vous, et il aurait passé par-dessus des abîmes plutôt que d’y manquer. Malgré ce violent et secret entraînement, il laissa Anastasie courir seule au-devant de Mlle de Maragnon, qui l’attendait déjà et épiait l’instant de son arrivée debout au bord du sentier qui conduisait à la Roche du Capucin. Les deux cousines s’embrassèrent avec effusion, comme après une longue absence, et Éléonore se mit à caresser Lambin, qui, l’ayant reconnue, flairait sa robe et grondait sourdement en signe d’amitié. La charmante jeune fille s’avança vers Gaston, et lui dit d’un air de doux reproche : — Mon cousin, vous arrivez le dernier ! et Anastasie prétend que, si elle vous avait laissé faire, vous seriez resté en chemin peut-être jusqu’à ce soir.

Le pauvre Gaston balbutia quelques excuses en baissant les yeux, de peur de rencontrer le regard d’Éléonore, et appela Lambin pour se donner une contenance.

— Maintenant, reprit Éléonore, allons trouver Mlle Irène qui nous attend là-bas sous la Roche du Capucin avec une autre personne.

— Une autre personne ? répéta Anastasie d’un air de curiosité timide.

— Mon cousin Dominique Maragnon, lui dit à l’oreille Éléonore ; vous savez bien que je voulais vous le présenter, ainsi qu’à votre frère.

Dominique Maragnon était un jeune homme de belle tournure et d’agréable visage ; il avait surtout cette grâce aisée que donne l’habitude du monde. Tandis qu’Anastasie lui faisait la révérence en rougissant et que le cadet de Colobrières lui rendait son salut avec une politesse un peu gauche, il s’écria d’un ton de bonne humeur et de franche cordialité : — Combien, je remercie ma cousine de m’avoir