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La Rousse soupira profondément, et reprit : — Si l’on avait été prévenu de cette visite, l’on aurait fait quelques préparatifs. D’abord, monsieur le chevalier, je vous aurais évité la peine d’aller vous-même chercher le dessert à l’Enclos du Chevrier…

— Non pas, interrompit-il ; je ne te l’aurais pas permis. Est-ce que tu aurais su choisir et rapporter sans les briser ces jolies grappes, ces rameaux chargés de fleurs que ma cousine a tant admirés ?…

— Et hier soir, monsieur le chevalier, reprit tristement la Rousse, vous montiez sans rien dire sur le balcon ; j’y serais bien allée, moi ; est-ce que ce n’est pas mon devoir d’apporter les provisions à la cuisine ?

— Ton devoir est de faire ce qu’on te commande, interrompit Gaston, et certainement je ne t’aurais pas commandé cela.

— Elle est bien jolie et elle paraît bien riche, cette demoiselle, continua la Rousse ; elle doit être aimable aussi, car elle s’est fait aimer ici tout d’abord. Mme la baronne et Mlle Anastasie l’ont comblée d’amitiés, ainsi que M. le baron. Il n’y a pas jusqu’à Lambin qui ne se soit apprivoisé avec elle ; quand elle s’est approchée de lui, il ne l’a pas mordue. — Et, après un moment d’hésitation, la Rousse ajouta : — Est-ce qu’elle reviendra, cette demoiselle, monsieur le chevalier ?

— Non, répondit Gaston d’un ton bref, et en reculant de quelques pas pour rompre cet entretien qui commençait à lui paraître long.

— Ah ! elle ne reviendra plus, murmura la Rousse avec une satisfaction inexprimable ; tant mieux ! Ça trouble tout le monde, ces visites-là. Ce soir, Mlle Anastasie est triste, Mme la baronne joue sans regarder ses cartes, et voilà M. le chevalier qui se promène seul d’un air pensif, au lieu de lire, comme de coutume, au coin de la table. Ah ! c’est certain qu’on ne vivrait pas content ici s’il y venait souvent des étrangers, des demoiselles de la ville !

À l’extrémité de la chaîne de collines arides qui dominait la tour de Belveser, il y avait un étroit vallon abrité par un rempart de rochers qui n’avait qu’une brèche au midi. Même dans la saison rigoureuse, la température était douce dans cette enceinte, que le soleil baignait tout le jour de ses tièdes rayons, et l’âpre influence des vents du nord ne s’y faisait jamais sentir. Une petite source bouillonnait dans le creux du vallon, et formait une nappe tranquille au pied de la masse granitique qu’on appelait la Roche du Capucin. Ces eaux vives s’écoulaient ensuite dans le ravin qu’elles avaient lentement creusé, et dont les bords sablonneux formaient deux sentiers agrestes, coupés çà et là par des bouquets de saules. Il n’y avait dans ces lieux aucune trace de culture, et, quoique le paysan avide vînt parfois couper furtivement