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échappé à un grand danger pût laisser dans notre ame une si douce émotion.

En parlant ainsi, elle leva involontairement sur Gaston son beau regard limpide et doux ; puis, abandonnant le bras du jeune homme, elle s’en alla appuyée sur Anastasie.

— Ma cousine, lui dit celle-ci avec inquiétude, vous êtes encore toute pâle ; vous souffrez ?

— Un peu, répondit Éléonore en portant la main à son front ; ma pauvre tête s’en va : le grand jour m’éblouit.

Elle fit encore quelques pas en chancelant, et, en entrant dans la salle, elle s’évanouit.

— Dieu du ciel ! ma nièce, qu’est-il donc arrivé ? dit la baronne en la prenant dans ses bras, tandis qu’Anastasie, tout éperdue, avançait le fauteuil de son père et criait à la Rousse d’apporter du vinaigre. — Mais qu’est-il donc arrivé ? répéta Mme de Colobrières en mouillant avec de l’eau froide les tempes de la jeune fille et en lui faisant respirer la burette de verre fêlé que venait d’apporter la Rousse.

— Nous étions à nous promener près du fossé, répondit Anastasie, et ma cousine a eu peur des serpens.

— Pauvre petite ! elle n’a pas été élevée à la campagne ; elle n’est pas accoutumée, comme nous, à ces vilaines bêtes, dit la baronne. Quelle idée de l’avoir conduite dans cet endroit, où fourmillent, je crois, tous les insectes de la création ! Il fallait la promener sur la plate-forme, où elle n’aurait vu que de jolis petits lézards gris et des sauterelles ?

Cependant Éléonore soupira, rouvrit les yeux, et murmura en serrant la main de la baronne :

— Chère tante ! je me sens déjà mieux ; pardon de l’inquiétude que je vous donne. J’ai eu comme une défaillance ; mais c’est déjà passé ; me voilà remise.

Elle voulut se lever ; la baronne la contraignit doucement à se rasseoir.

— Oui, mon enfant, ceci n’est rien, grâce au ciel, lui dit-elle ; à présent il faut rester là, bien tranquille. Voilà le second coup de la messe qui sonne ; mais vous ne pouvez venir avec nous. Anastasie restera pour vous soigner et vous faire compagnie ; en pareil cas, la messe n’est pas d’obligation, et vous en êtes dispensées toutes deux.

Le baron avait déjà pris les devans. Mme de Colobrières chercha Gaston ; mais il s’en était allé aussi sans qu’on y prit garde.

— Est-ce qu’il serait déjà descendu au village ? je ne l’ai pas aperçu ce matin, dit la baronne un peu étonnée. Excusez-le, ma nièce ; il est timide et craint d’être importun.

La bonne dame prit ses Heures, son parasol de taffetas vert, et