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moment la haute société de Pest bien plus encore que celle de Paris, Des femmes élégantes s’étendaient nonchalamment dans ces calèches, devant lesquelles s’ouvrait une foule moitié orientale et moitié européenne. Auprès de ces belles dames valaques ou hongroises, dont les toilettes n’eussent pas été critiquées aux Champs-Élysées, passaient des paysannes vêtues d’une simple chemise brodée sur les coutures, et portant, suivant l’usage du pays, leurs nouveau-nés dans un petit panier. Des enfans déguenillés offraient aux promeneurs, dans de petits bâtons de sureau ou dans des fioles, des scorpions et des vipères, hôtes habituels des bois de Mehadia. Les visages étaient, pour la plupart, fort pâles, d’où je conclus, dès le premier instant, que l’on venait à ces eaux pour sa santé et non pour s’amuser, ce qu’on aurait grand tort de faire, comme je m’en aperçus bientôt. Je n’ai jamais tant vu de gens boiteux, scrofuleux, étiques et d’aspect misérable. La plupart des maux que les Valaques essaient de guérir à Mehadia ont une commune origine, m’assura-t-on ; ils remontent à la découverte du nouveau monde, dont la Valachie, pays dépravé s’il en est, se plaint plus que tout autre. Du reste, la haute société de Bukarest, autant que j’en ai pu juger à Mehadia, vit tout-à-fait à la française, parle français, et suit nos modes comme nos usages. Elle n’a guère d’autre littérature que nos feuilletons. La vie des eaux ne saurait être fort agréable dans une ville où l’on ne voit guère que des malades. Je la trouvai, pour ma part, fort ennuyeuse, et des désagrémens de tout genre hâtèrent mon départ.

Après de longues recherches, nous étions parvenus à louer dans la principale auberge, à un taux énorme, un petit galetas dans lequel nous nous étions établis de notre mieux. Je demande pardon d’entrer dans quelques menus détails qui sont instructifs. Le premier soir, suivant une coutume adoptée en France, nous mîmes sur le seuil de nos portes toutes nos chaussures qui réclamaient, depuis Constantinople, les soins d’un domestique. Notre intention fut mal interprétée, et l’on vola nos bottes au lieu de les cirer. La blanchisseuse trouva bon également de s’approprier la plus grande partie de notre linge. Fort embarrassés, nous allâmes porter plainte à la police de l’endroit, qui se moqua de nous et répondit seulement que nous avions demandé un permis de séjour valable pour trois jours, et qu’elle nous invitait en conséquence à reprendre notre route à l’expiration de ce terme. C’était bien notre intention, mais cette façon d’agir me révoltait ; j’étais furieux, je jurai de me plaindre à Vienne à l’autorité supérieure, ce dont je ne fis rien, et nous quittâmes Mehadia pour aller