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Voici bien assez de chiffres ; que l’on me pardonne pourtant un dernier calcul qui résume tous les autres : dans les trois siècles qui ont précédé les mesures sanitaires, il y a eu cent cinq épidémies en Europe ; il y en a eu cent quarante-trois dans les trois siècles qui les ont suivies. Est-ce à dire qu’il faille abolir les lazarets, supprimer toutes les mesures sanitaires ? Non, sans doute ; mais il faut que le bon sens ait raison de la routine, que l’expérience triomphe de l’aveuglement, et qu’une juste prévoyance remplace par des lois raisonnées, appuyées sur les faits, les mesures absurdes et ruineuses[1] qu’a inspirées une terreur irréfléchie. Il ne faut pas, par exemple, que le voyageur qui part de Constantinople puisse choisir entre quatorze jours de quarantaine à la frontière de France et quatorze heures seulement à la frontière d’Autriche ; il ne faut pas enfin que, pour aller d’Alexandrie à Paris, la route la plus courte soit de passer par Londres. Les choses en sont toujours là cependant, et les cris des voyageurs, des commerçans, n’ont servi à rien. Jamais réclamations mieux fondées n’ont été plus inutiles. Bien que mon intention, je l’ai dit, ne soit pas d’entrer aujourd’hui dans les détails administratifs de la question, je ne puis m’empêcher de dénoncer un fait qui n’a peut-être son pareil dans aucun pays civilisé. On se souvient que le 20 mai dernier, à la suite d’une assez vive polémique dans les journaux et à la chambre, les quarantaines furent sur quelques points réformées. Les provenances de la Grèce, de Tripoli, de Tunis et du Maroc furent délivrées, à certaines conditions, de la quarantaine. Le pas était petit, mais c’était un pas. Qu’est-il arrivé ? On ne le croira pas. L’administration sanitaire a refusé de mettre à exécution l’ordonnance ministérielle. On continue d’incarcérer à Marseille, en dépit du ministre, ceux que cette ordon-

  1. Le déficit causé par nos mesures sanitaires dans la recette des paquebots de la correspondance française était, en 1843, de 2 millions ; en 1844, il s’est élevé à 3 millions 500,000 francs, et ce chiffre sera, dit-on, plus que doublé cette année. L’expérience toute récente de M. Waghorn pour faire suivre à la malle de l’Inde un nouvel itinéraire ne présage-t-elle pas de nouvelles pertes encore ?