Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son souverain, fit mitrailler ses anciens compagnons et incendier leur caserne. Le sultan, qui lui conserva une reconnaissance inaltérable, ajouta dès-lors à tous ses emplois le titre de gouverneur de Constantinople et des neuf tours ; enfin il le nomma successivement seraskier et feld-maréchal. Hussein commanda en chef, deux ans plus tard, la grande armée du Danube, puis celle de Syrie, à la tête de laquelle il perdit la bataille d’Alexandrette. On cite de lui des traits d’une bravoure héroïque ; dans les batailles, il payait de sa personne et sabrait comme le dernier soldat au milieu de ses escadrons ; mais il était meilleur cavalier, dit-on, que bon général. Ses revers en Asie le discréditèrent ; on donna à Reschid-Pacha le commandement de la nouvelle armée, et Hussein reçut, comme retraite, le pachalik de Widdin.

J’allais donc voir cet homme fameux, cet ami de Mahmoud, ce bourreau célèbre ! Quelle figure avait-il ? Comment me recevrait-il ? Telles étaient les questions qui se pressaient en moi, quand j’arrivai devant le palais du pacha. Ce palais ressemble fort à une ferme abandonnée. Qu’on se figure une assez grande cour, dont le sol inégal était jonché de pierres, de touffes d’orties et de bottes de paille ; de tous côtés des murs décrépits et délabrés ; au fond enfin une longue baraque flanquée d’une longue galerie de bois peinte en rouge, avec un escalier extérieur pareil à celui de certaines auberges du midi de la France. Dans la cour de ce palais venaient d’arriver, avec la voiture dont j’ai donné la description, un assez grand nombre de cavaliers, officiers du pacha sans doute, qui avaient revêtu leurs fez les plus rouges et leurs redingotes les moins usées. Leur costume me fit songer au mien, et j’eus un nouveau moment d’hésitation. Une vieille veste de velours dont le temps avait rendu la couleur indécise et l’étoffe transparente en plus d’un endroit, une chemise de couleur débraillée, une casquette sans forme, ne composaient pas un habit de cérémonie très convenable pour se présenter chez un des grands dignitaires de l’empire. Connaissant la susceptibilité des Turcs à l’égard des chaussures, j’étais surtout inquiet de mes souliers poudreux, auxquels le cirage faisait depuis long-temps défaut ; mais j’étais résolu : je pouvais d’ailleurs laisser mes chaussures à l’entrée du salon de réception, et, me présenter devant Hussein marchant sur mes bas, à l’imitation des paysans de ma province. Je montai donc bravement l’escalier de bois. Arrivé sur la galerie du palais, je me trouvai fort embarrassé de ma personne, à laquelle on ne paraissait pas faire la moindre attention. Je me promenai un instant sans que nul m’interrogeât ; enfin, avisant par une porte ouverte une assez grande salle démeublée, dans laquelle fumaient assis par terre une douzaine de Turcs vêtus de polonaises