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l’histoire et de la connaissance de l’antiquité ; qu’elles tendent à priver les productions des arts, charme de notre existence, du souffle vivifiant de l’imagination. Partout où, sous l’égide d’institutions libres et d’une sage législation, les germes de la civilisation peuvent se développer pleinement, il n’est pas à craindre qu’une rivalité pacifique nuise à aucune des créations de l’esprit. Chacun de ces développemens offre des fruits précieux à l’état, ceux qui donnent la nourriture à l’homme et fondent sa richesse physique, aussi bien que ceux qui, plus durables, transmettent la gloire des peuples à la postérité la plus reculée. Les Spartiates, malgré leur austérité dorienne, priaient les dieux « de leur accorder le beau avec le bon. »

Je ne développerai pas davantage ces considérations si souvent exposées sur l’influence qu’exercent les sciences mathématiques et physiques en tout ce qui tient aux besoins matériels de la société. La carrière que je dois parcourir est trop vaste pour me permettre d’insister ici sur l’utilité des applications. Accoutumé à des courses lointaines, peut-être ai-je le tort de dépeindre la route comme plus frayée et plus agréable qu’elle ne l’est réellement : c’est l’habitude de ceux qui aiment à guider les autres jusqu’aux sommets de hautes montagnes. Ils vantent la vue, lors même qu’une grande étendue de plaines reste cachée dans les nuages ; ils savent qu’un voile vaporeux et à demi diaphane a un charme secret, que l’image de l’infini lie le monde des sens au monde des idées et des émotions. Pareillement aussi, de la hauteur à laquelle s’élève la physique du monde, l’horizon ne se montre pas également éclairé et bien arrêté dans toutes ses parties ; mais ce qui pourra rester vague et voilé ne le sera pas seulement par suite du défaut de netteté qui résulte de l’état d’imperfection de quelques sciences : il le sera plus encore par la faute du guide qui, imprudemment, a entrepris de s’élever jusqu’à ces sommités.

Alexandre de Humboldt.