Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/780

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sérieuses des sciences qui contribuera à éloigner les dangers que je signale ici. L’homme n’a de l’action sur la nature, il ne peut s’approprier aucune de ses forces qu’autant qu’il apprend à les mesurer avec précision, à connaître les lois du monde physique. Le pouvoir des sociétés humaines, Bacon l’a dit, c’est l’intelligence ; ce pouvoir s’élève et s’abaisse avec elle. — Mais le savoir qui résulte du libre travail de la pensée n’est pas seulement une joie de l’homme, il est aussi l’antique et indestructible droit de l’humanité. Tout en faisant partie de ses richesses, souvent il est la compensation des biens que la nature a répartis avec parcimonie sur la terre. Les peuples qui ne prennent pas une part active au mouvement industriel, au choix et à la préparation des matières premières, aux applications heureuses de la mécanique et de la chimie, chez lesquels cette activité ne pénètre pas toutes les classes de la société, doivent infailliblement déchoir de la prospérité qu’ils avaient acquise. L’appauvrissement est d’autant plus rapide que des états limitrophes rajeunissent davantage leurs forces par l’heureuse influence des sciences sur les arts.

De même que, dans les sphères élevées de la pensée et du sentiment, dans la philosophie, la poésie et les beaux-arts, le premier but de toute étude est un but intérieur, celui d’agrandir et de féconder l’intelligence, de même aussi le terme vers lequel les sciences doivent tendre directement, c’est la découverte des lois, du principe d’unité qui se révèle dans la vie universelle de la nature. En suivant la route que nous venons de tracer, les études physiques n’en seront pas moins utiles aux progrès de l’industrie, qui est une conquête de l’intelligence de l’homme sur la matière. Par une heureuse connexité de causes et d’effets, souvent même sans que l’homme ait pu le prévoir, le vrai, le beau, le bon, se trouvent liés à l’utile. L’amélioration des cultures livrées à des mains libres et dans des propriétés d’une moindre étendue ; l’état florissant des arts mécaniques, délivrés des entraves que leur opposait l’esprit de corporation ; le commerce agrandi et vivifié par la multiplicité des moyens de contact entre les peuples, voilà les résultats glorieux des progrès intellectuels et du perfectionnement des institutions politiques dans lesquels ces progrès se reflètent. Le tableau de l’histoire moderne devrait convaincre ceux dont le réveil paraît tardif.

Ne craignons pas non plus que la direction qui caractérise notre siècle, que la prédilection si marquée pour l’étude de la nature et pour les progrès de l’industrie, aient pour effet nécessaire de ralentir les nobles efforts qui se produisent dans le domaine de la philosophie, de