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plus tard la comparaison laborieuse des faits, à la persuasion intime qu’un seul et indestructible nœud enchaîne la nature entière.

La tentative de décomposer en ses élémens divers la magie du monde physique est pleine de témérité, car le grand caractère d’un paysage et de toute scène imposante de la nature dépend de la simultanéité des idées et des sentimens qui se trouvent excités dans l’observateur. La puissance de la nature se révèle, pour ainsi dire, dans la connexité des impressions, dans cette unité d’émotions et d’effets se produisant en quelque sorte d’un seul coup. Si l’on veut indiquer leurs sources partielles, il faut descendre par l’analyse à l’individualité des formes et à la diversité des forces. Les élémens les plus variés et les plus riches de ce genre de travail s’offrent aux yeux des voyageurs dans le paysage de l’Asie australe, dans le grand archipel de l’Inde, et surtout dans le nouveau continent, là où les sommets des hautes Cordilières forment les bas-fonds de l’océan aérien, et où les mêmes forces souterraines qui jadis ont soulevé la chaîne de ces montagnes les ébranlent encore de nos jours et menacent de les engloutir.

Les tableaux de la nature ne sont pas uniquement faits pour plaire à l’imagination ; ils peuvent aussi, lorsqu’on les rapproche les uns des autres, signaler ces gradations d’impressions que nous venons d’indiquer, depuis l’uniformité du littoral ou des steppes nues de la Sibérie jusqu’à l’inépuisable fécondité de la zone torride.

Si dans notre imagination nous plaçons le mont Pilate sur le Schrekhorn, ou la Schneekoppe de Silésie sur le mont Blanc, nous n’aurons pas encore atteint un des grands colosses des Andes, le Chimborazo, qui a deux fois la hauteur de l’Etna. Si l’on place le Righi ou le mont Athos sur le Chimborazo, on se forme l’image du plus haut sommet de l’Himalaya, le Dhawalagiri. Quoique les montagnes de l’Inde, par leur surprenante élévation, surpassent de beaucoup les Cordilières de l’Amérique méridionale, elles ne peuvent pas, à cause de leur position géographique, offrir l’inépuisable variété de phénomènes qui caractérise celles-ci. La chaîne de l’Himalaya est placée bien en-deçà de la zone torride. À peine un palmier s’égare-t-il dans les belles vallées du Kumaoun et du Garhwal. Par les 28e et 34e degrés de latitude, sur la pente méridionale de l’ancien Paropamisus, la nature ne déploie plus cette abondance de fougères en arbre et de graminées arborescentes, d’héliconia et d’orchidées, qui, dans la région tropicale, montent vers les plateaux les plus élevés. Sur la crête de l’Himalaya, à l’ombre du pin deodvara et des chênes à larges feuilles propres à ces alpes de l’Inde, la roche granitique et le mica-