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plaça entre lui et l’esclave. C’était Raja-Ram qui souriait avec une expression infernale, en s’appuyant sur un sabre nu. L’Anglais sentit alors qu’il n’y avait plus d’espoir pour la victime, et, tombant le front contre terre, il se boucha les oreilles pour ne plus entendre les cris perçans et désespérés de la jeune fille. Ces cris retentirent quelques instans encore, jusqu’à ce que la voix devînt rauque et trahît les efforts de la mourante. Alors on entendit une dernière supplique : Aman ! aman ! grace, ô ma maîtresse ! toute autre mort, mais pas celle-ci. De l’air ! de l’air ! oh ! je suffoque ! j’étouffe ! je meurs ! -Et ces paroles à peine articulées furent suivies d’un profond silence.

On pourrait croire que nous inventons ici des horreurs à plaisir ; mais notre imagination, il est bon de le rappeler, n’est pour rien dans tout cela, et ce récit est tout bonnement de l’histoire. Les annales de l’Orient sont pleines d’épisodes non moins affreux et non moins étranges. Quiconque puise à cette source troublée, mais féconde, prendrait volontiers la réalité tantôt pour un rêve séduisant, tantôt pour une fiction hideuse : il faut bien admettre cependant qu’il n’y a là ni rêve ni fiction, et ce mélange de poésie et de terreur, d’héroïsme et d’exaltation sauvage, est le fonds même de la vie orientale.

Tant qu’avaient duré les cris de l’esclave, la begom n’avait pas cessé de fumer. Quand la fosse fut remplie, elle fit fouler par les travailleurs le tertre qui en marquait la place, puis on y étendit le tapis, et, quand elle y fut installée, elle appela Dyce à ses côtés.

— Que voulez-vous de moi ? dit-il, hésitant à s’asseoir ; ne vous jouez pas plus long-temps de votre victime. Si c’est un supplice que vous me préparez, hâtez-le : l’attente est plus cruelle que la dernière angoisse. Par la tête de notre enfant, la seule faveur que je vous demande est d’abréger mon agonie et de donner l’ordre à vos bourreaux.

— Vous vous trompez, seigneur Dyce, répondit la begom avec calme ; je n’ai ni l’intention ni le droit de vous punir. L’épouse adultère ne saurait être le juge de l’amant infidèle. Quand j’ai sacrifié mon noble époux pour un obscur étranger, je devais m’attendre que je serais trahie à mon tour. C’est justice : cette punition m’était due, et il n’y aurait pas de Providence s’il en eût été autrement. L’instrument de mon crime devait se tourner contre moi, et j’ai perdu le droit de le briser ; mais l’esclave que j’avais tirée de la misère pour la nourrir dans mon sein, que j’avais comblée de bienfaits, et qui m’enlevait ma dernière consolation, la seule qui pût quelque jour me faire oublier mes remords, l’amour de l’homme pour lequel j’ai perdu