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celui où l’on osa lui demander de signer un traité qui léguait à sa mort, moyennant des richesses assez considérables, garanties à enfant, ses droits héréditaires à ce fléau de l’Asie, l’odieuse compagnie anglaise. Celui qui lui proposait ce lâche abandon, c’était l’amant pour lequel elle avait trahi son premier et son seul défenseur, pour lequel elle avait immolé son époux et perdu le repos de sa conscience ; c’était le père de son enfant qui lui demandait de le déshériter. L’amour de la mère vint alors en aide à la dignité de la reine : elle déchira l’infame écrit, et chassa de sa présence le misérable qui avait présumé jusqu’à ce point de sa faiblesse.

Le soir de ce jour, la begom veillait près d’un berceau, dans l’appartement même où l’idée de l’adultère lui était venue pour la première fois, l’appartement du char, dans le rang-mahal. La begom était seule ; elle avait renvoyé ses femmes pour pleurer en liberté. Son enfant, maussade et souffrant, venait de s’endormir ; elle l’avait couvert du rideau de gaze, et, posant enfin sur le divan sa tête appesantie, elle était tombée dans une rêverie profonde. Tout à coup un bruit de pas la tire de sa léthargie, une main glacée a touché la sienne : c’est la main de Raja-Ram qui sollicite son attention, et lui commande en même temps le silence en lui faisant signe de le suivre. La reine ne s’émeut pas, elle ne questionne pas Raja-Ram : c’est un fidèle serviteur, et sa démarche doit avoir une excuse. La main sur son poignard, elle s’avance sur les pas de son vieux guide.

Dans une face latérale du cloître intérieur que nous avons décrit et séparée du rang-mahal par de vastes salons, est une petite chambre dont le somptueux ameublement contraste avec l’austère simplicité qui règne depuis long-temps dans les appartemens de la reine C’est là que Raja-Ram conduisit la begom. Au fond de la chambre faiblement éclairée par une lampe suspendue à la voûte, on distingua un tcharpaë (lit de repos) entouré d’une moustiquaire de gaze. Sur ce lit reposait une femme jeune et belle ; à ses pieds était endormi un homme qui tenait encore dans sa main le tuyau flexible d’un houka. Près du lit, sur une table chargée de cristaux, on apercevait les restes d’un festin, des fruits savoureux, des liqueurs exquises, et une enivrante fumée d’opium imprégnait l’atmosphère. La femme endormie était Shireen, une des esclaves de la begom ; le dormeur était le colonel Dyce.

La begom se sentit défaillir ; un nuage passa devant ses yeux, et elle dut s’appuyer sur le bras de Raja-Ram.

— Ils dormiront encore quelques heures, dit l’Indien quand il la