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semblait plutôt éviter que rechercher son attention, et, en rencontrant le regard de la princesse, il rougit en s’inclinant profondément. Comment interpréter cette émotion soudaine ? Était-ce de l’amour ou de la honte ? Non, le cœur de Dyce était inaccessible à de telles impressions. C’était plutôt l’élan d’une ambition long-temps arrêtée dans son essor, une inquiétude dévorante qu’un seul regard de sa maîtresse avait changée en espérance, peut-être même en certitude, car elle aussi avait laissé voir son trouble ; ses joues s’étaient couvertes de rougeur, et, par un mouvement de coquetterie involontaire, elle avait ramené son écharpe sur sa poitrine, trahissant ainsi un besoin de plaire qui venait en elle de naître ou de se ranimer.

Quand elle rentra dans ses appartemens, la suivante Ayesha ne reconnut plus sa maîtresse. La begom avait recouvré en même temps son énergie et sa fierté ; elle marchait le front haut, la bouche souriante, comme aux jours où l’amour de Sombre la rendait heureuse.

— Ayesha, lui dit-elle, il est temps que je m’occupe enfin des intérêts de mon peuple. Nous avons d’autres devoirs à remplir que de pleurer sur une tombe. Je veux recevoir aujourd’hui toute ma cour en plein derbar. Va distribuer ces vêtemens de deuil aux pauvres qui attendent à ma porte. Tu ouvriras ces cassettes précieuses que je n’ai pas revues depuis la mort de mon époux ; tu me donneras mes bijoux, tu entrelaceras des jasmins et des perles dans mes cheveux. La reine de Sardannah paraîtra aujourd’hui dans toute sa gloire.

Ce jour-là même toute la noblesse de Sardannah fut convoquée en grande audience. Les ministres, les généraux, les principaux fonctionnaires et les vakils, ou chargés d’affaires des puissances voisines, vinrent successivement baiser la frange de la robe de la begom et déposer à ses pieds le nazzar, symbole d’hommage et présent de rigueur. C’étaient des bourses d’or ou des bijoux précieux offerts sur des plateaux d’argent, des pièces de riches étoffes qui s’entassaient sur les marches du trône, des chevaux harnachés que des grooms faisaient défiler devant le péristyle du divan-e-âm (salon de grande réception), et chacun recevait en retour le khelat ou vêtement d’honneur, espèce d’habit de cour broché d’or et de soie, qu’il fallait revêtir sous les yeux de la reine et porter aux prochaines audiences. Le colonel Dyce s’avança à son tour pour présenter son offrande c’était, sur un plateau de laque, quelques roupies d’or et un bouquet allégorique de pensées, et de soucis. Le titre d’Européen excusait sans doute la singularité du présent, car la reine, après un moment d’hésitation, daigna l’accepter, et, répondant par un mouvement de