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hésitations de Sombre. Suivi de la princesse, il gagne la petite porte dérobée qui donne sur la campagne ; là il s’élance sur son cheval de bataille ; la princesse est enlevée dans son palanquin, et la faible escorte suit au trot la course rapide des porteurs. Ces derniers, stimulés par les promesses de Sombre, courent pendant quatre heures sans reprendre haleine. La plaine est bientôt franchie, en dépit de l’ouragan dont la violence redouble, malgré le vent, malgré la pluie qui tombe à torrens. On entre dans la région montagneuse ; le sol est accidenté, s’élève en collines, se creuse en ravins. Le sentier rocailleux serpente péniblement dans le lit d’un torrent dont les bords sont hérissés d’une forêt épaisse. Les arbres séculaires projettent leur feuillage au-dessus des têtes des fugitifs. On avance encore, mais plus lentement ; le chant cadencé des porteurs est devenu une sorte de récitatif lamentable, leurs poitrines sont haletantes, le dévouement seul les soutient. Tout à coup un cri terrible se fait entendre, les porteurs tombent le front dans la poussière, et le palanquin est précipité contre les rochers. Un tigre effrayé par l’orage avait cherché un abri parmi les babouls sur le bord de la route. Selon sa coutume, il avait patiemment laissé défiler tout le cortège, attendant le dernier homme ; bondissant alors au travers du sentier, il avait saisi et emporté sa proie. Les cavaliers, cédant à une panique superstitieuse, avaient vu dans cet accident le doigt d’une divinité ennemie, et s’étaient dispersés ; les porteurs, au contraire, s’étaient serrés autour du palanquin. La nuit était noire, le vent hurlait parmi les arbres, les branches s’entre-choquaient avec fracas. Au milieu de cette nature désolée, le groupe des porteurs, agitant leurs torches et poussant des cris aigus, formait un tableau infernal.

En cet instant où la crainte pouvait pénétrer au cœur le plus brave, Sombre n’avait pas perdu son sang-froid ; il était descendu de cheval, et, agenouillé devant la porte du palanquin, il écoutait la princesse qui lui parlait avec calme. « Ami, lui dit-elle, encore quelques instans, et nos ennemis seront ici ; mais, tu peux m’en croire, je ne tomberai pas vivante entre leurs mains pour devenir la femme ou l’esclave de quelque paria. Dès que les pieds de leurs chevaux retentiront sur les cailloux du chemin, mon poignard me délivrera de cette vie, à laquelle je ne tenais que par un seul lien, ton amour. Tu m’a appris qu’il est un autre monde où nous pourrons nous retrouver : eh bien ! allons y chercher le bonheur. Tu vas me suivre ; nous mourrons ensemble, et nos deux ames ne seront pas un instant séparées. »

Sombre couvrait de ses pleurs la main de la princesse. Le pistolet