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pour se débarrasser de son ennemi ; ce fut en vain. Un coup de pistolet déchargé à bout portant par la princesse ne suffit pas encore. Sombre saisit enfin une hache, et ce ne fut qu’à coups redoublés qu’il parvint à lui faire lâcher prise. Le monstre, déjà mutilé, vint tomber entre les jambes de l’éléphant, qui lui posa son large pied sur la poitrine. Broyé par cette pression épouvantable, le tigre expira avec un cri déchirant de rage et de douleur.

Cependant une partie des fuyards s’était ralliée, et il restait encore un ennemi à détruire. On reforma les rangs, et l’on avança de nouveau. La recherche fut long-temps vaine : les obstacles du terrain se multipliaient. Le jongle marécageux avait été laissé en arrière, et l’on était arrivé à une forêt de superbes tulipiers s’élançant d’un taillis épais. Les traqueurs avaient vu la tigresse gagner ce fourré impénétrable ; mais qui oserait l’y suivre ? Cette fois, les dangers étaient plus que doublés ; seuls, la jeune reine et Sombre furent inaccessibles à la peur. Il n’y avait désormais plus de sentier : ce fut alors qu’on put admirer la sagacité de l’éléphant et sa force prodigieuse. Sur un mot du mahaout, il appliqua son front contre l’arbre qui obstruait le passage, et, l’enlaçant de sa trompe, le plia vers la terre jusqu’à ce qu’il pût poser son large pied sur la tige. Aussitôt le bois craqua, les racines sortirent de terre ; l’arbre était terrassé. Un passage fut ainsi frayé comme si la hache du pionnier ou la trombe de l’ouragan avait dévasté la forêt.

L’éléphant royal, toujours au poste d’honneur, marchait en tête de la colonne. Il venait d’écarter les rameaux d’un pipol à larges feuilles ; tout à coup il recule et se débat avec fureur : la tigresse, poursuivie jusque dans son dernier asile, s’est élancée sur sa tête ; une des griffes a pénétré dans l’œil, l’autre lui déchire la trompe. N’écoutant plus alors que son désespoir, l’éléphant se précipite sur son ennemi, et, tombant sur ses genoux de devant, perce de ses défenses la tigresse clouée contre terre. Arrachés de leurs sièges par ce brusque mouvement du colosse, Sombre et la jeune reine sont lancés au loin dans les broussailles. L’épais tissu de ces plantes flexibles a heureusement amorti leur chute. Sombre saisit dans ses bras la reine toute meurtrie, mais souriante encore, et c’est presque de force qu’il l’entraîne loin de cette lutte gigantesque et de l’agonie du tigre. Tel est l’attrait, telle est la fascination du danger, telles sont les puissantes émotions de la grande chasse dans l’Inde.

Ce fut à ce moment où ils venaient d’affronter ensemble une mort