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d’écarlate et supportée par des pieux, Sombre eut à passer devant un corps-de-garde d’amazones, portant le costume des cipayes et armées comme eux du tromblon, du sabre et du poignard[1]. Quelques-unes de ces femmes étaient dans un état de grossesse fort avancé, ce qui ne les empêchait nullement de prendre leur tour de faction et de faire l’exercice en pantalon serré et le frac boutonné d’une façon assez burlesque. Sombre reconnut bientôt l’esclave Ayesha, qui guettait son arrivée pour l’introduire dans le pavillon royal. Passant devant lui dans une espèce d’antichambre et soulevant un rideau intérieur, Ayesha lui fit signe d’avancer, et il se trouva en présence de la reine.

La tente fort simple, quoique vaste et appuyée sur deux énormes bambous, se divisait, à l’aide d’un rideau, en deux appartemens. La pièce la plus considérable, qui servait de salle de réception, était en grande partie occupée par un immense lit de sangle, long d’environ dix pieds sur six de large, mais très peu élevé. Les supports, de quinze à seize pouces de hauteur, plongeaient dans des vases de cuivre remplis d’eau et destinés à préserver la couche royale des insectes ou des reptiles venimeux. La tête du lit, les pieds, les côtés, étaient sculptés, peints et dorés avec un goût exquis ; sur un matelas de peu d’épaisseur était tendu un drap d’une blancheur éblouissante, attaché aux quatre coins par des cordes de soie cramoisie à longs bouts avec des glands d’or. Vers le centre de ce divan étaient entassés quatre ou cinq de ces larges oreillers qui, dans l’Hindoustan, reçoivent chacun un nom et une destination particulière. Il y avait, par exemple, le sirhanah, oreiller large pour la tête ; le pyrana, espèce de traversin pour mettre sous les genoux quand on ne veut pas étendre les jambes ; le gao takya, pour supporter le dos et les épaules quand on veut simplement s’asseoir ; puis encore un nombre infini d’autres coussins, plus ou moins grands, plus ou moins doux, pour venir en aide à la fatigue ou favoriser la volupté. Sur cette couche, si artistement préparée selon les besoins du climat, reposait la jeune et charmante reine de Sardannah. Elle portait un pantalon froncé, très large, de brocard pourpre et or, au-dessus duquel un gilet de mousseline blanche, brodé de perles, lui comprimait le sein de manière à en dessiner tous les contours, tandis qu’une large écharpe de satin bleu tombait de l’épaule jusqu’au genou. Ses cheveux, d’un noir lustré, étaient divisés

  1. On trouve encore de ces compagnies d’amazones dans les harems d’Hyderabad, de Lucknao et de Delhi. Nous en avons vu chez le nizam et chez son ministre Mounir-oul-Moulouk.