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et le dirigea contre l’étranger. Celui-ci, sans s’émouvoir, répondit à cette menace par un gracieux sourire et par le salut oriental, en portant sa main à son front.

Karé rho ! halte ! cria la princesse à son cornac. Cipayes, garde à vous ! Qu’on laisse approcher cet étranger, mais qu’on surveille tous ses mouvemens !

Puis, l’œil fixé sur l’Européen, le doigt sur la détente de son petit fusil anglais, la reine de Sardannah attendit fièrement l’approche du téméraire aventurier qu’elle avait déjà rencontré sur le champ de bataille.

Successivement au service de différens princes, et en dernier lieu du Grand-Mogol, Joseph Sombre, qui prit dans l’Inde le titre de général Sombre, s’était rendu également célèbre par sa bravoure et par ses succès contre les Anglais, dont il avait deviné la grandeur naissante et cherché à arrêter les progrès. En bute à d’implacables ressentimens et abandonné du faible successeur de Timour et de Baber, il cherchait un nouveau drapeau qui pût lui promettre fortune et vengeance. A l’époque où il se présentait ainsi devant la begom de Sardannah, ses exploits étaient déjà le thème favori des chansons populaires, qui en faisaient un héros et presque un demi-dieu sous le nom de Roustam e Frangistan (le champion français).

Sautant à bas de son cheval, Sombre s’avança à pied parmi les gardes de la reine ; puis, touchant trois fois la terre de l’extrémité de ses doigts et portant jusqu’à son front le pan de la housse de l’éléphant, il dit, suivant la formule asiatique et s’exprimant en excellent hindoustani : « La paix soit avec vous, noble ranie ! Puisse votre ombre toujours grandir, et puissé-je y trouver place ! » Après un moment d’hésitation, la jeune princesse répondit avec emphase : « La paix soit avec vous, brave chevalier ! Présentez-vous au camp ; la tente sera prête pour vous recevoir ; vous y trouverez le pain et le sel. Notre hospitalité est connue du monde entier. » À cette invitation d’une solennité tout orientale, l’aventurier fit la réponse accoutumée : « Les paroles de votre majesté sont des ordres pour son esclave. Je me présenterai sur le seuil de sa tente ; je recevrai le pain et le sel. » Se retirant alors pour laisser passer le cortége, il remonta à cheval et se joignit à la foule sans paraître remarquer la curiosité qu’il excitait.

Le camp de la begom, composé d’environ quatre cents tentes disposées irrégulièrement, présentait de loin un aspect assez gracieux. C’était une petite ville construite d’étoffes variées et éclatantes, une ville indienne, avec son désordre pittoresque et ses contrastes bizarres.