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c’est le roi qui a ajouté de sa main les mots : À notre très grand regret. L’expression d’un tel sentiment est aussi politique qu’honorable pour celui qui en est l’objet. Le roi comprend fort bien que c’est un affaiblissement peur l’armée de n’être plus commandée par le doyen des maréchaux de France. Ce qui est vrai dans l’ordre militaire ne l’est pas moins dans l’ordre que. Si la présidence de M. le maréchal Soult a, aux yeux de quelques personnes, l’avantage d’empêcher celle de M. Guizot, ceux qui se réjouissent de ce résultat ne doivent pas non plus se dissimuler qu’un tel arrangement met à découvert les faiblesses intérieures du cabinet. Un président nominal, honoraire, on peut le dire, désormais sans pouvoir ; un ministre principal auquel on ne veut pas donner le titre et l’autorité qui sembleraient devoir lui appartenir ; puis d’autres ministres qui craignent d’être présidés par le plus éminent d’entre eux : y a-t-il dans tout cela une grande force de cohésion et une attitude bien imposante ?

Une des nominations qui, dans le département de la guerre, accompagnent celle de M. le général de Saint-Yon n’est pas sans importance : c’est celle de M. le général Delarue comme directeur des affaires d’Afrique. Elle prouve que, dans la pensée du cabinet, le temps du gouvernement civil pour l’Algérie est loin d’être arrivé, puisqu’une administration qui embrasse toute l’organisation africaine, les rapports civils et commerciaux aussi bien que la justice, les cultes et les travaux publics, est confiée à un maréchal-de-camp. Nous sommes loin de blâmer la nomination de M. Delarue ; cet officier-général connaît l’Algérie et le Maroc, et, dans le nouveau poste où il est appelé, son expérience peut être fort utile. Seulement il faut reconnaître combien les derniers évènemens ont modifié-, au sein du cabinet, la manière d’envisager et de conduire les affaires d’Afrique.

Ne nous faisons pas illusion : la véritable direction de ces affaires est pour long-temps encore dans les mains des généraux en chef qui commanderont dans l’Algérie ; elle dépend surtout aujourd’hui de M. le maréchal Bugeaud, auquel on ne saurait, sans une injustice extrême, refuser l’expérience et les qualités nécessaires pour mener à bien la guerre difficile dont il est chargé. Si, comme le prétendent ici quelques esprits passionnés, M. le duc d’Isly n’entendait rien aux plans et aux desseins d’Abd-el-Kader, qui donc pourrait se flatter de les comprendre et de les pénétrer ? Laissons ces tristes exagérations, et sachons attendre avec quelque patience des résultats dont la plus brillante ; valeur ne saurait devancer l’époque. Il n’est au pouvoir de personne d’empêcher la saison des pluies d’arriver. M. le maréchal Bugeaud, qui a quitté la France muni de l’autorisation d’entrer dans le Maroc pour y poursuivre l’émir, ne pourra probablement y pénétrer qu’au printemps. Il a déjà fait sentir sa présence aux Arabes par de vigoureux coups de main.

Nous devons aux derniers évènemens d’avoir pu éprouver la rapidité de nos transports pour conduire des troupes en Afrique. Les deux points d’embarquement ont été Port-Vendres et Toulon. L'Asmodée s’est rendu en trente-six heures à Alger, le Descartes en trente-huit à Stora. Avec nos bateaux