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contre le roi Christophe, qui maintenait dans la partie du nord un absolutisme énergiquement constitué, il se posa en défenseur des idées démocratiques, et fit de nombreuses concessions à ses gouvernés. Parmi des hommes qui venaient de s’affranchir, les uns de l’esclavage corporel, les autres de l’ilotisme politique, les principes d’indépendance et d’égalité furent accueillis avec un enthousiasme qu’il est aisé de comprendre. Plus tard, délivré des appréhensions que lui inspiraient les projets de conquête de son rival, Pétion voulut resserrer un peu les rênes et s’arrêter sur une pente qui devenait chaque jour plus rapide ; mais déjà il n’était plus temps, et, dans ses confidens les plus intimes, le chef mulâtre rencontra une résistance qui dut lui révéler quels progrès rapides et inespérés son peuple avait faits. En vain Pétion parvint-il, à force d’intrigues et de violences, à reconquérir, en 1816, par les modifications qu’il fit introduire dans la constitution, une partie du terrain qu’il avait laissé gagner à la démocratie ; en vain son successeur Boyer, fidèle sectateur de son école, marcha-t-il constamment dans la même voie de réaction despotique : le but même que l’ambition de Boyer s’était marqué, et qu’elle sut atteindre, l’unité territoriale, servit à fortifier la résistance qu’il avait à surmonter, les idées démocratiques, contenues autrefois dans la petite république de Pétion, se répandirent dès-lors dans toutes les parties de l’île, et notamment parmi les anciens sujets du roi Christophe. Cette population, long-temps gouvernée avec une verge de fer, se précipita avec ardeur au-devant des idées libérales.

La situation de la république, sous la présidence de Boyer, demeura long-temps ignorée de l’Europe. On ne sut pas combien la population haïtienne était vivement travaillée par l’esprit démocratique. L’interdit parfois sanglant dont Boyer frappa l’expression de toute doctrine politique fit croire à une quiétude parfaite dans les esprits. A ne juger en effet de l’état du pays que par la presse haïtienne, on aurait pu croire que le gouvernement de Boyer fonctionnait au milieu d’une paix générale. Au moment même où éclata la révolution de 1843, les rédacteurs des journaux, du Port-au-Prince, avertis par un officier du président, s’abstenaient de faire la moindre allusion à la crise qui se déclarait. Tandis que la fusillade grondait à quelques lieues du Port-au-Prince, la presse locale se livrait à de transcendantes discussions sur le droit des gens, ou à l’examen approfondi du système financier[1]. Cette comédie dura jusqu’au jour où Boyer dut s’enfuir devant la révolution triomphante. Dès ce moment, les passions politiques se firent jour dans la presse avec l’impétuosité d’un torrent qui rompt ses digues. Ce fut, ou jamais, le cas de dire : La démocratie coule à pleins bords. Et quelle démocratie ! le choc des idées les plus hétérogènes, l’alliance des principes les plus contraires, du fédéralisme américain et des tendances unitaires de 93 ; la souveraineté du

  1. On peut consulter les numéros du Patriote et du Temps publiés à l’époque dont nous parlons.