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avant peu dans une nouvelle phase. La lutte allait commencer entre le pouvoir exécutif appuyé du parti militaire, et la constituante, redevenue chambre des représentans, appuyée par les journalistes et par tous les coureurs du pays.

Ces prévisions ne furent que trop tôt justifiées. Moins de deux mois après son entrée au pouvoir, Hérard se sentait débordé par les difficultés qui se multipliaient autour de lui. Les esprits s’étaient enflammés au point de rendre toute conciliation impossible. On se battait dans le quartier de l’Artibonite. Le président se voyait réduit à rompre avec la constituante. Il lançait une proclamation où, après s’être plaint amèrement de « cette ardeur inquiète, persécutrice, qui, sortie de la constituante, se répand, se propage, semble à chaque instant préluder aux bouleversemens et rend tout gouvernement impossible, » il faisait un appel au peuple, dont il se disait le serviteur. Tel était, moins de deux mois après son avènement, le langage du chef d’un gouvernement nouveau.

On ne peut dire à travers quelles scènes étranges la lutte du président et du parti démocratique se serait continuée, si un incident particulier n’en fût venu hâter le dénouement. Les mesures qu’avait prises Hérard pour comprimer le parti scissionnaire dans la province espagnole n’avaient eu qu’une efficacité apparente. Si les habitans de cette province avaient paru s’associer au mouvement révolutionnaire, s’ils avaient formé leurs comités électoraux, envoyé leurs députés à la constituante, ils n’en étaient pas moins résolus à profiter des premières circonstances pour secouer un joug détesté. Non-seulement on se préparait à l’insurrection dans les différens districts de cette partie de l’île, mais les députés de l’est, qui affectaient de discuter sérieusement la constitution unitaire de la république, profitaient de leur présence à Port-au-Prince pour faire de secrètes ouvertures aux représentans de la France, allant même, dit-on, jusqu’à offrir la cession du territoire pour prix du concours qu’ils réclamaient. Les agens français durent se refuser positivement à prendre la responsabilité de la grave initiative qui leur était demandée. Toutefois, involontairement sans doute, ils contribuèrent à précipiter la crise qui renversa Hérard. M. Juchereau de Saint-Denis, consul désigné pour le Cap, se trouvant sans résidence par suite de l’entière destruction de cette malheureuse ville, Hérard consentit, sur la demande qui lui en fut faite, à l’accréditer provisoirement à Santo-Domingo, où la France n’avait jamais eu de consul. Ce fait fut considéré par la population comme la manifestation éclatante du concours sollicité. Vainement notre agent s’efforça-t-il de dissiper l’erreur et de rappeler qu’il avait reçu son exequatur du gouvernement du Port-au-Prince : rien ne put détromper des gens qui ne voulaient pas être détrompés. Le 27 février 1844, la révolution éclata à Santo-Domingo La population de cette ville, retrouvant tout à coup cet élan d’agression dont elle fit souvent preuve durant l’occupation française, se leva en armes, et bloqua la garnison dans les forts. La lutte allait devenir sanglante. M. Juchereau de Saint-Denis