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du jour au lendemain général de division : son cousin Hérard-Dumesle se souvint tout à coup qu’il avait autrefois servi, et se décréta aussi la feuille de chêne. Des avocats, des députés, séduits par cet exemple, firent payer par des distinctions militaires la haine dont les avait honorés Boyer. A la veille d’une session qui allait régler le sort du pays, la vanité africaine ne songeait qu’à se pavaner sous un flot d’épaulettes et de plumes de coq.

Dès les premiers débats du parlement, qui s’était érigé en assemblée constituante, un conflit s’éleva entre l’autorité militaire et les députés. Comme ces cortès portugaises qui, dissoutes après trois mois de session, en étaient encore au premier paragraphe de leur adresse, les élus de la république africaine firent un tel abus de la parole, se perdirent tellement dans les définitions abstraites et les considérations générales, qu’Hérard-Rivière dut leur faire sommation d’en finir. L’assemblée fit à cette mise en demeure assez peu parlementaire une réponse très brève et qui ne manquait pas de dignité. Cette réponse portée au chef militaire fut, comme on le pense, assez mal accueillie : Hérard-Rivière la lut en présence de ses soldats ; les sabres furent tirés ; au milieu de cris fort peu constitutionnels, quelques audacieux voulurent devancer l’œuvre de l’assemblée et proclamer leur général président. Cette manifestation n’eut pas de suites immédiates ; mais elle fut comme le prélude de la lutte qui éclata bientôt entre les deux Hérard et la logomachie parlementaire, lutte dans laquelle nous les verrons succomber.

L’impatience du pouvoir militaire, bien que maladroitement exprimée, n’avait pas laissé de produire quelque sensation. Aussi le parlement se pressa-t-il un peu ; on sacrifia quelques discours sur l’autel de la patrie, et l’on arriva à formuler la constitution de 1844. Cette constitution, aussi diffuse dans sa forme qu’inexécutable dans ses prescriptions, est parfaitement oubliée aujourd’hui ; si je ne me trompe, on n’en a jamais exécuté qu’un seul article, celui qui appelait Hérard-Rivière à la présidence pour quatre années.

La cérémonie de l’installation eut lieu avec une grande pompe. Rien ne manqua à la solennité, pas même le jeune palmier, emblème de la république, dont la flèche aiguë, surmontée du bonnet de la liberté, décorait pittoresquement la salle. M. le contre-amiral comte de Moges, commandant notre station des Antilles, et qui au premier bruit des évènemens dont notre ancienne colonie était le théâtre s’était porté devant Port-au-Prince sur la frégate la Néréïde ; M. le consul-général Adolphe Barrot, envoyé par le gouvernement français pour traiter de la question de l’indemnité, et récemment arrivé sur la corvette l’Aube ; le consul résidant de France, et les consuls des États-Unis et d’Angleterre, assistèrent officiellement à la cérémonie. Ils furent témoins d’un curieux spectacle. Dans un discours qui ne manquait, certes, pas de sens, et où l’on reconnaissait sans peine la plume exercée d’Hérard-Dumesle, le nouveau président protesta contre la constitution qu’il venait de jurer, et le parti militaire accueillit bruyamment les réticences calculées de son chef. On put dès-lors prévoir que la révolution haïtienne entrerait