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le gouvernement de Boyer donnait la mesure de sa capacité. Les deux partis se rencontrèrent pour la première fois, le 21 février 1843, près du bourg de Pestel, et pour la dernière fois, le 12 mars, dans les plaines de Léogane, c’est-à-dire non loin du Port-au-Prince. La victoire resta au parti révolutionnaire, déjà maître de la ville des Cayes, et le chef d’exécution prononça la déchéance du président. Celui-ci, qui depuis quarante-cinq jours n’avait su que lancer des proclamations, n’attendit pas son vainqueur, et s’embarqua en toute hâte sur la corvette anglaise le Sylla, laissant un dernier manifeste dans lequel il déclarait abdiquer le pouvoir, et faisait assez noblement ses adieux au pays,


III. – LE PRESIDENT HERARD ET LA CRISE DE 1844.

Avec la chute de Boyer, une ère nouvelle d’agitations et de discordes allait commencer pour l’île. Le 4 avril, le général Hérard (on ne lui donnait plus que ce titre) déposa les pouvoirs qu’il avait reçus, après avoir nommé un gouvernement provisoire dont il fit lui-même partie, ainsi que le général noir Guerrier, qui fut depuis son successeur. Ensuite, laissant à ses collègues le soin de faire voter la quatrième constitution de la république, il partit à la tête des troupes disponibles pour aller proclamer l’autorité du gouvernement provisoire dans le nord et dans l’ancienne province espagnole. De graves symptômes prouvèrent au général Hérard que la victoire remportée par son parti était le prélude plutôt que le dénouement d’une révolution. Les évènemens qui venaient de s’accomplir avaient produit une vive impression sur les habitans de la partie espagnole ; les esprits étaient fort agités ; on se ralliait déjà autour d’une pensée commune, celle de profiter des circonstances pour secouer le joug détesté de l’ouest et reconquérir l’ancienne nationalité. Hérard procéda révolutionnairement : il fit enlever et traîner dans les prisons du Port-au-Prince les habitans les plus influens de Santo-Domingo. Après avoir changé les principaux fonctionnaires et placé les forces militaires sous les ordres de son frère, le colonel Léo Hérard, il crut avoir assuré l’unité de la république et regagna le Port-au-Prince.

La partie française n’était pas moins agitée que la partie espagnole, et le général Hérard y arriva au milieu d’une fermentation générale. Le travail des nouvelles élections était long et difficile ; la présence des deux castes dans les comités électoraux entraînait des conflits et des agitations qui s’élevèrent parfois aux proportions de la guerre civile. La race noire reprenait une attitude menaçante ; elle avait ses champions armés, ses complots militaires. Diverses prises d’armes révélaient ses projets hostiles, entre autres celles du noir Salomon et du noir Dalzon, qui fut tué en essayant de provoquer un mouvement militaire à Port-au-Prince. En présence de cette population irritée, le parti des sang-mêlés, qui avait fait la révolution, s’en partageait complaisamment les bénéfices. Le chef de bataillon Hérard-Rivière s’était proclamé