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LA


REPUBLIQUE D'HAÏTI.


SES DERNIERES REVOLUTIONS ET SA SITUATION.




I. – ÉTAT MORAL, ELEMENS DIVERS DE LA POPULATION HAÏTIENNE

A la fin du XVIIe siècle, lorsque, fatigués de leur vie de meurtre et de rapine, les héroïques forbans de la mer des Antilles vinrent dresser leurs tentes sur la côte septentrionale de Saint-Domingue, ces hardis pionniers de la civilisation purent reconnaître que le sol où ils débarquaient avait, depuis Colomb, dévoré deux races d’hommes. L’esclave africain ramena plus d’une fois aux regards étonnés de son maître des débris d’origine bien distincte à côté de poteries grossières et d’idoles en glaise durcie laissées par la race indienne, on retrouva des mors, des éperons et divers ustensiles de fabrique européenne. Ainsi donc, en deux siècles, le nord de ce pays avait vu s’éteindre deux races, deux sociétés ; le peuple conquérant avait disparu comme le peuple conquis. Pourtant, un siècle à peine après l’établissement de la colonie française, une nouvelle transformation devait s’accomplir. Les vainqueurs des Espagnols étaient à leur tour emportés par la plus soudaine et la plus terrible des révolutions. Saint-Domingue donnait à l’Europe le spectacle d’une population en travail de civilisation, et cherchant à réunir les débris de l’édifice social qu’elle a renversé. On pouvait croire qu’après cette victoire, la race noire allait garder une position si péniblement conquise. Il n’en fut rien : une race intermédiaire, issue de la race blanche et douée en partie de ses instincts supérieurs, s’empara du pouvoir. La race métisse ne comprit pas malheureusement le rôle qu’elle avait à remplir, et, si elle continua l’œuvre