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comme un premier essai de résistance. Peut-être auraient-ils osé plus dans un moment où le parti clérical n’était encore ni organisé, ni discipliné, bien que prépondérante déjà ; mais ils ne furent pas maîtres de persister dans cette voix. Les libéraux exaltés, qui, depuis leur rupture avec le clergé, se désignaient à eux comme des auxiliaires naturels, n’avaient pas oublié la part prise, en 1831, par les modérés et M. Lebeau surtout, à l’adoption du traité des dix-huit articles. Ce traité garantissait l’indépendance belge au prix d’un sacrifice de territoire ; aussi avait-il soulevé les clameurs de cet ùltra libéralisme, qui, en Belgique comme partout, s’inspire moins volontiers des nécessités politiques que des susceptibilités d’un nationalisme étroit. Loin de se calmer, l’irritation de ce parti s’était accrue en raison même des difficultés extérieures, au point que M. Gendebien montant un beau jour à la tribune pour proposer la mise en accusation du sieur Lebeau. Il n’y avait rien à faire avec des libéraux pareils. Le ministère resta donc sous le joug des catholiques, et, jusqu’en août 1834, époque où le projet d’organisation communale, son premier acte d’indépendance, le précipita du pouvoir, il fit pour eux ce que MM. Lebeau et Devaux ont si aigrement reproché depuis à M. Nothomb ; il prépara les succès du parti prêtre, en ouvrant une libre carrière au népotisme électoral de ce parti.

Tout, dans le camp ennemi, favorisait donc l’invasion ultramontaine : l’attitude violente des radicaux, la passivité forcée du ministère ; et jusqu’à la position personnelle du roi. Chef protestant d’une révolution dirigée en partie contre la suprématie protestante, le roi Léopold ne pouvait trop user de ménagemens vis-à-vis d’un clergé ombrageux, qui l’avait repoussé long-temps, qui ne l’avait accepté plus tard qu’avec des réserves injurieuses, et dans la seule intention d’échapper au danger plus grave de l’influence française et de notre régime centralisateur, comme le déclara à la tribune l’abbé Bouqueau de Villeraie. L’impartialité même ne lui était pas permise toute initiative conciliante, tout essai de pondération venus de lui eussent emprunté à sa qualité d’hérétique un caractère suspect. Habileté ou faiblesse, Léopold a toujours donné à ses ministres, dans la sphère fort rétrécie de son action, l’exemple de ces cajoleries forcées, qui ont si puissamment aidé le parti clérical, soit en peuplant l’administration de ses créatures, soit en le désignant aux complaisances des fonctionnaires libéraux. Le roi des Belges ne s’est pas toujours borné là ; c’est à son influence personnelle que fut attribuée, en 1834, la chute du ministère Lebeau-Rogier, coupable d’avoir proposé et fait voter une disposition