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« Il vous faut, dites-vous, un pouvoir arbitraire ? L’Inde y est accoutumée ? Et où le prendra-t-on pour vous le donner, ce pouvoir ? et qui vous le donnera ? La compagnie ? Elle ne l’a pas. Le roi ? Il ne l’a pas. Vous-mêmes ? Vous ne l’avez pas. En Angleterre, il n’appartient à personne. Selon la loi de Dieu, il n’y a, pour nul d’entre nous, exercice libre d’une volonté souveraine et d’une complète indépendance. Parce que l’Inde a été mille fois dépeuplée, décimée, ravagée, vous croyez avoir le droit, dites-vous, de la ravager, de la décimer, de la dépeupler ! Vous osez réduire en code et en principe les fraudes, les tyrannies, les violences de ces bandits, de ces misérables qui l’ont couverte de larmes et de cendres ! vous consolidez cette masse d’absurdités et de crimes pour en faire la charte de l’Inde ! Mais les conquérans tartares eux-mêmes, ces hommes inexorables, vénéraient la justice et s’agenouillaient devant l’équité ! Le livre des Dix principes de Gengiskan, les Institutes que Tamerlan a rédigés, prouvent qu’ils avaient foi dans la morale universelle, qu’ils se croyaient obligés à étancher pendant la paix les blessures de la conquête : plus miséricordieux dans leur barbarie, plus philosophes dans leur guerrière ignorance que vous, agens paisibles de quelques maisons de négoce, élevés sous le comptoir, enfans civilisés du trafic, devenus les plus impérieux des despotes et les plus impitoyables des maîtres ! Votre corruption trouve aussi des excuses : vous dites que l’Inde a fait de l’exaction une coutume, du péculat une loi ! C’est dites-vous, une coutume reçue d’accepter un cadeau quand on rend visite aux princes ! 200 livres sterling par jour comme droit de visite ! mais savez-vous que ce sont 73,000 livres sterling par an ? »


L’Angleterre ébranlée, les ames émues, la morale vengée, l’Europe retentissante, le plus obstiné labeur, la plus haute éloquence, ne renversèrent ni Hastings, acquitté solennellement, ni ses défenseur, debout et insolens sur les millions que l’inde dépeuplée leur avait fournis. Le hasardeux et magnanime Fox était devenu chef de l’opposition, qu’il faisait agir et mouvoir à son gré. Le jeune William Pitt tenait le pouvoir ; il avait paisiblement éludé le danger, en livrant Hastings, « s’il était coupable, » à la vindicte des lois. A sa moralité sévère, Burke gagnait l’estime et la gloire : c’était tout. Les hommes ont trop de faiblesses, nous ne voulons pas dire trop de vices, pour se laisser aisément mener par tant de vertu. Le quaker des communes put s’en apercevoir. Ses commettans de Bristol lui devinrent un beau jour infidèle, parce qu’il avait préféré l’équité à leurs intérêts ; Franklin le mena comme il voulut dans l’affaire des colonies ; dans celle de la régence, Burke fut aussi peu consulté du Sardanapale de Carlton-House que de l’idiot de Buckingham-Palace, le prince de Galles n’avait pas