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et de cette sagesse élevée dont Burke devait être l’apôtre éloquent et fanatique. En février 1766, le nouveau membre pour le bourg de Wendover se leva et prit la parole sur la question des colonies et en leur faveur. « Tous avez fait entendre, lui écrit le lendemain un de ses correspondans, le docteur Marriott, une nouvelle éloquence, celle de la philosophie politique[1]. Vos idées se pressent comme les flots ; tout est neuf et à l’effet, et l’on dirait un de ces orateurs grecs que nous traduisons dans nos classes. » La verve ardente du jeune homme, long-temps soumise à une discipline sévère, se faisait jour enfin et versait les torrens de cette éloquence que lord Brougham a très bien caractérisée[2] : « Luxueuse dans son abondance et prodigue de toutes ses ressources, éclatant à la fois en ironie, en invectives, en métaphores, en allégories, en allusions, en fables, en paraboles, en anathèmes, mais quelquefois plus sonore et plus étourdissante que réelle, et laissant debout, au milieu de tant de bruit et de fumée, la forteresse de l’ennemi. »

Tel est le caractère de Burke, de son éloquence et de sa vie ; il a toujours l’éclat, jamais le succès. La voix de Burke, déjà glorieuse en Angleterre, ne réussit pas à faire vivre plus de six mois le cabinet de Rockingham, cette administration si modérée et si honnête, qui tomba en 1766 sous le coup des intérêts coalisés. George III et les commerçans anglais trouvaient Rockingham trop favorable aux rebelles des colonies. North lui succéda. En vain essaya-t-il de conquérir l’éloquent ami de son prédécesseur ; fidèle à Rockingham dans sa chute, Burke alla se ranger avec lui sous la bannière de l’opposition. Lord Rockingham lui-même reçut des ouvertures de la cour et l’offre de rentrer au pouvoir, s’il voulait céder et adopter des mesures sévères contre les colonies. Il refusa ; Burke, commençant la guerre des pamphlets qu’il a continuée toute sa vie, publia ce chef-d’œuvre du genre, les Pensées sur la désaffection publique. Nous ne pouvons convenir avec Hazlitt, que ce soit un pamphlet démocratique. Il s’agissait de rallier les whigs de 1688 autour de Rockingham, et par conséquence de faire aimer les grandes familles, de confondre leurs intérêts avec ceux de la nation, et d’éloigner toute idée de prépondérance despotique assumée par les classes nobles. De là ce ton familier, bourgeois et presque radical d’un homme qui vivait dans l’intimité du marquis de Rockingham, du duc de Portland et de lord Charlemont.

  1. Tom. I, p. 105.
  2. Edinburgh Review, t. XLVI, p. 269.