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— Venez, ma nièce, dit-elle d’un ton triomphant et en prenant Éléonore par la main, venez, votre oncle vous attend !

Le baron était assis au fond de la salle sur un vieux fauteuil de cuir qui, depuis un temps immémorial, servait de siège au chef de la famille. Il fit deux pas au-devant de sa nièce, et lui dit gravement : — Mlle de Belveser, soyez la bienvenue au château de Colobrières ! J’espère que vous nous ferez la faveur de souper et de coucher ici.

La jeune fille ne put s’empêcher de sourire en s’entendant saluer de ce nom aristocratique. — Monsieur le baron ! mon cher oncle ! s’écria-t-elle en s’inclinant comme pour baiser la main qu’il avançait vers elle ; mais il la releva, la baisa au front, et la fit asseoir à son côté. Il y eut un instant de silence. Le baron, fièrement campé sur son grand siège, avait commandé qu’on servît bientôt le souper, et faisait les honneurs de chez lui d’un certain air digne et poli qui sentait son vieux gentilhomme. La baronne et sa petite fille considéraient la nouvelle venue avec une curiosité mêlée d’admiration ; selon leurs idées, Éléonore était d’une beauté accomplie et parfaite : elle était jolie seulement. Ses traits étaient fins et peu accusés, son teint d’une blancheur, d’un éclat incomparable. Elle était petite ; mais elle tenait de sa mère certains airs de tête pleins de grâce et de fierté. Ces juvéniles attraits étaient relevés d’ailleurs par une toilette de la simplicité la plus élégante ; c’était un déshabillé de taffetas rayé gris et rose, relevé sur les hanches par des coussinets qui soutenaient la jupe et faisaient ressortir la finesse de la taille la plus déliée, la plus ronde, qu’eussent jamais emprisonnée les raides parois d’un corset. Un fichu de linon modestement croisé laissait deviner à peine le contour du cou, dont la mate blancheur était relevée par un large velours noir bouclé presque sous le menton. Il eût été difficile de décider si cette charmante personne était blonde ou brune, car ses cheveux, crêpés sur le front, étaient recouverts d’une couche de poudre qui les rendait parfaitement blancs. Ses yeux bleus, ses sourcils noirs, laissaient la question indécise, et ce n’était guère qu’au rose incarnat de son teint qu’on pouvait reconnaître que sa chevelure n’avait pas la même nuance que celle de la brune Anastasie.

Éléonore considérait, de son côté, tout ce qui l’environnait avec une curiosité contenue et un certain étonnement. Le couvert était mis déjà, c’est-à-dire que la Rousse avait étendu une grosse nappe sur la table et arrangé symétriquement quatre assiettes de terre jaune, accompagnées d’une salière de bois et d’un pot de faïence qui servait de carafe. L’ameublement de la salle répondait à l’aspect du château ;