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teintes d’un jaune pâle s’étendait une chaîne de rochers grisâtres et calcinés, dont la plus haute cime était couronnée par des fortifications à demi écroulées. Les murailles, percées de larges brèches, formaient en l’air de gigantesques festons de l’effet le plus bizarre : ce nid d’aigle ruiné, c’était la tour de Belveser.

Le regard rêveur d’Anastasie parcourait encore les lignes profondes qui s’effaçaient rapidement dans le lointain, lorsqu’un bruit inaccoutumé attira son attention ; il semblait, chose étrange ! qu’une voiture roulait lentement dans la direction du château. En effet, elle aperçut presque au même instant un carrosse qui venait d’entrer dans le chemin raide, pierreux et presque impraticable pratiqué en zigzag sur les flancs de la colline que dominait le vieux manoir.

— Ma mère, regardez donc, s’écria-t-elle, un carrosse ! et l’on dirait qu’il vient ici !

— Sainte Vierge ! qui est-ce que le ciel nous envoie ? murmura la baronne tout émue et en appelant du geste son mari.

Le cadet de Colobrières et sa sœur coururent à l’extrémité de la plate-forme, et regardèrent avec une sorte de stupéfaction le fringant équipage qui gravissait péniblement la colline. Le baron s’était arrêté en face de sa femme qui joignait les mains et levait les yeux au ciel d’un air tout à la fois joyeux et consterné : — Voilà du monde qui nous arrive, dit-elle ; c’est étonnant, car enfin nous n’attendons personne… Vous n’avez reçu aucune lettre, monsieur le baron ?

— Aucune, répondit-il froidement ; je ne sais pas qui vient ainsi nous faire visite ; mais je vous préviens que si c’est cette femme, la veuve Maragnon, je ne veux pas la voir, et je lui défends de passer la porte du château. Vous pouvez aller au-devant d’elle pour lui signifier ma volonté.

À ces mots, il se retourna fièrement et regagna la salle où la Rousse dressait la table pour le souper. Mme de Colobrières alla toute tremblante au-devant du carrosse qui déjà roulait sur la plate-forme. Le cocher arrêta ses chevaux, un grand laquais ouvrit la portière, et, au lieu de la vieille femme qu’elle s’attendait à revoir et à ne pas reconnaître peut-être, la baronne aperçut une jeune fille qui sauta légèrement à terre et jeta autour d’elle un regard timide et troublé. À l’aspect de Mme de Colobrières, elle parut hésiter un moment ; puis, tirant une lettre cachée dans le corsage de son déshabillé, elle la lui présenta avec un geste naïf de crainte et de prière.

— Chère enfant ! s’écria la bonne dame en l’embrassant avec effusion, je n’ai pas besoin de lire ceci pour savoir qui vous êtes. Comme