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conserve toute la mienne, et ne cesse de former des vœux pour leur bonheur. Si l’occasion se présente de leur parler de moi, dites-leur, monsieur le curé, que j’ai toujours pleuré la perte de leur affection, et regretté de les avoir affligés par mon mariage, mais que le ciel m’a pardonné cette faute, puisqu’il a permis que je fusse heureuse avec Pierre Maragnon.

« Je vous remercie de m’avoir prévenue que la tour de Belveser est en vente, et vous envoie mes pouvoirs et l’argent nécessaire pour en faire l’acquisition en mon nom. Ce n’est pas cependant avec l’intention de m’anoblir une seconde fois que j’achète cet ancien domaine de notre famille : je veux porter jusqu’à la mort le nom qu’a honoré l’homme de bien auquel je fus unie.

« Des nombreux enfans que Dieu m’avait donnés, il ne m’est resté qu’une fille ; tous mes souhaits seraient comblés si quelque jour mon frère et ma sœur daignaient l’appeler leur nièce.

« J’ose espérer, monsieur le curé, que votre bonté me favorisera d’une réponse, et je recommande à vos prières votre humble servante.

« Veuve MARAGNON. »

Les papiers qui accompagnaient cette lettre étaient en règle, et le messager qu’on en avait chargé remit en même temps au vieux curé les deux gros sacs d’écus, prix du domaine de Belveser. Il n’y avait plus qu’à terminer. Le tabellion de Saint-Peyre dressa l’acte de vente et le porta au baron, lequel signa en défendant que ce nom de Maragnon, qu’il venait pour la première fois de voir accolé à celui de Colobrières, fût derechef prononcé en sa présence. On ne lui avait point montré la lettre d’Agathe, de crainte que cette ferme résolution qu’elle exprimait de ne point quitter le nom roturier pour prendre le nom du fief noble ne lui fît regretter le consentement qu’il avait donné à la vente de la tour de Belveser. La baronne avait été attendrie en lisant la lettre de sa belle-sœur ; les affections, les souvenirs de sa jeunesse, s’étaient réveillés dans son ame, et, lorsque le vieux prêtre lui eut communiqué sa réponse à Mme Maragnon, elle dit, les larmes aux yeux : — Je n’espère pas la revoir avant de mourir. Monsieur le curé, faites-moi du moins la grâce de lui dire que j’ai toujours songé à elle avec affection, et que j’ai remercié Dieu en apprenant ses prospérités. Dites-lui aussi que je l’embrasse ainsi que sa fille, ma chère nièce.

La bonne dame se garda bien de parler à son mari de cette espèce