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baronne ; il faudrait faire remettre les vitres et placer de bons contre-vents neufs aux fenêtres.

— Et l’argent nécessaire pour les payer, si vous saviez aussi où le prendre ? fit le baron avec quelque ironie et en haussant les épaules, comme un homme qu’on entretient de propos chimériques.

À ce moment, une idée s’offrit subitement à l’esprit de la baronne ; elle hocha la tête, et répondit gravement : — L’argent ? sans doute je saurais où le trouver, si vous vouliez…

Il la regarda à son tour d’un air étonné, et, croyant deviner sa pensée, il lui dit avec une sorte d’indignation :

— Ah ! madame, je vous croyais trop fière pour faire ressource des richesses de cette femme, et pour songer seulement à contracter envers elle la moindre obligation.

— Vous ne m’avez pas comprise, monsieur, répondit la baronne sans s’émouvoir ; c’est elle, au contraire, qui nous aurait de grandes obligations. Voici l’idée qui m’est venue : Agathe de Colobrières doit être lasse de porter ce nom roturier de Maragnon ; pour qu’elle puisse le quitter, vendez-lui la tour de Belveser ; c’est un fief noble, une vraie savonnette à vilain, comme on dit ; Agathe s’appellera Mme de Belveser, et personne ne pourra lui contester le droit de porter notre chardon de sinople sur les panneaux de son carrosse.

— Vendre la tour de Belveser ! aliéner une propriété encore plus ancienne dans notre famille que le château de Colobrières ! s’écria le baron ; savez-vous, madame, qu’il conste de nos archives que la tour a été bâtie par Jehan de Colobrières, dit Jeannet-Courte-Jambe, parce qu’il était devenu boiteux dans la mémorable expédition du comte de Provence contre les Sarrasins du Fraixinet ?

— Je le sais, répondit tranquillement la baronne, et il m’a toujours semblé que ce brave seigneur avait mal choisi l’emplacement de cet édifice, une roche pelée, environnée d’un terrain qui, bon an, mal an, ne produit rien du tout.

— Autrefois il y avait des redevances, murmura le baron ; il y avait de bonnes terres qui ont passé en d’autres mains.

— Eh bien ! à votre tour, défaites-vous des mauvaises, dit vivement Mme de Colobrières ; cela vous rendra un peu d’argent, et ce sera une satisfaction pour vous de penser que votre sœur ne porte plus ce nom de Maragnon… Si jamais elle se présentait devant vous, vous ne seriez pas obligé du moins de l’appeler ainsi…

— Moi ! souffrir que cette femme paraisse jamais devant mes yeux !