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matin l’on vous cherche sans doute, et l’on aura tout supposé plutôt que de soupçonner ce qui arrive. J’intercéderai pour vous, mais je crains que ce soit sans succès. Une dernière fois, songez-y : êtes-vous bien résolue à tout quitter ainsi, à vous séparer pour toujours de votre famille, qui ne se souviendra jamais de vous peut-être sans colère et sans honte ?

— Mon plus grand désir est qu’elle me pardonne, répondit Agathe avec une fermeté triste ; mais je ne l’espère pas, monsieur le curé, et, en quittant Colobrières, je savais bien que c’était pour toujours.

Le curé lui fit signe de se remettre à genoux, et, après avoir prié avec elle et accompli les actes qui doivent précéder la cérémonie religieuse, il lui commanda d’aller l’attendre dans l’église et de dire à Pierre Maragnon de venir le trouver à son tour. Sur l’ordre du prêtre, le petit clerc alla quérir deux de ces vieux bonshommes qui se chauffaient au soleil, sous le porche, afin qu’ils servissent de témoins. Un quart d’heure plus tard, Pierre Maragnon et Agathe de Colobrières étaient mariés.

En sortant de l’église, les nouveaux époux trouvèrent sur la place toute la caravane qui venait d’arriver. Pierre s’approcha alors du jeune homme qui l’accompagnait dans son voyage, et il dit, avec une expression indicible de joie et d’orgueil, en lui montrant la belle Agathe : Jacques, va lui donner la main ; elle est ta sœur !

Dans l’après-midi du même jour, tandis que les mariés s’en allaient sur la route de Marseille, le curé prit le chemin de Colobrières. Le baron et sa femme en étaient encore aux conjectures ; ils avaient trouvé sur l’embrasure de la fenêtre les cadeaux de noces d’Agathe, mais ils ne savaient ce que cela voulait dire, et leur esprit se perdait dans une foule de suppositions qui n’approchaient pas de la vérité. Lorsque le curé eut raconté simplement les faits, le baron entra dans des transports de colère et d’indignation, et la baronne répandit des larmes. La bonne dame, malgré sa douceur naturelle et son indulgence, était indignée aussi contre sa belle-sœur, et elle s’écriait d’un air de courroux et de désolation comique : — Mlle de Colobrières la femme de Pierre Maragnon ! Je concevrais peut-être qu’elle eût eu la faiblesse de l’aimer ; mais celle de l’épouser, jamais !

Le baron de Colobrières renia sa sœur Agathe ; il la maudit, et fit défense expresse qu’on prononçât jamais son nom devant lui. Après cette déclaration solennelle, il fit dresser avec des broussailles une espèce de bûcher au milieu de la grande cour, et, quand le feu fut bien