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même les prétentions du clergé. C’est sous l’administration des deux premiers qu’une circulaire affranchit les établissemens de main-morte du droit qu’ils payaient sous le régime hollandais pour les acquisitions et donations d’immeubles, mesure qui a tant profité aux couvens. D’autres, bien moins inquiets de la position faite au clergé que de l’esprit trop radical des institutions civiles, finirent par avoir confiance en des libertés dont un corps essentiellement modérateur se portait le garant. Plusieurs enfin secondèrent la théocratie par leurs défiances même ; ils virent dans l’extrême diffusion des droits politiques un contre-poids à l’influence centralisatrice du clergé. M. Nothomb a très bien exprimé, tout en les partageant, les illusions de cette époque quand il a dit : « Le congrès a emprunté à la république ses libertés, et à la monarchie ses garanties. » On n’avait pris en réalité que les abus possibles dans celle-ci, et les dangers inévitables dans celle-là.


II.

La théocratie se trouvait pleinement, légalement organisée. Soustrait à toute surveillance civile par l’article 16 de la constitution, investi de la majorité parlementaire par l’infériorité du cens rural, le clergé pesait sur l’état, sans que l’état pût réagir sur lui.

Qu’allait-il surgir d’une situation si nouvelle ? Le clergé saurait-il séparer en lui le prêtre du citoyen, ou bien concentrerait-il vers un but unique tous ses moyens d’action ? Et s’il subordonnait à ses droits temporels les ressources sans nombre de son influence spirituelle, de sa hiérarchie, de son unité, comment userait-il de son formidable ascendant ? Serait-ce pour monopoliser à son profit les libertés civiles et politiques, ou pour les garantir chez tous ? Se constituerait-il despote ou pour régulateur ? Telles étaient les questions posées. Pendant que nos journaux s’obstinaient à traiter la Belgique en département français, et que la conférence de Londres marchandait sa vie souffle à souffle au peuple nouveau-né, il s’accomplissait sans bruit, dans ce petit coin de terre où tout manquait, l’autorité dans les hommes comme la stabilité dans les choses, une expérience que les plus audacieux osaient à peine proposer chez nous, une expérience tout aussi décisive pour les droits respectifs de l’église et de la société que l’avait été notre révolution de 89 pour ceux de la royauté et du peuple : la théocratie dans la liberté.

Je me hâte de dire que cette expérience n’a pas été favorable à