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Agathe de Colobrières heurta un petit coup et entra tenant par la main sa jeune nièce, l’autre main cachée dans les profondeurs de la poche où elle avait mis les économies de la baronne. S’il se fût agi de se présenter ainsi devant des gens de sa qualité, elle aurait éprouvé un insurmontable embarras, elle aurait été bien gauche et bien troublée ; mais elle ne se mettait point en peine pour aborder ces petites gens, et, faisant une légère inclination de tête, elle leur dit simplement : — Bonsoir, Peut-on, sans vous déranger, voir vos marchandises ?

Le négociant ambulant se leva un peu surpris à l’aspect de cette belle fille qui s’était arrêtée au milieu de la salle d’un air fier, indifférent et modeste, attendant qu’il étalât sa pacotille. Bien qu’elle ne portât qu’une assez méchante robe de droguet, elle avait la démarche d’une princesse, et l’orgueil de sa race était comme empreint sur son front large et découvert. Le marchand s’inclina respectueusement, et dit en avançant un des ballots qui remplaçaient les fauteuils : — Madame, daignez prendre la peine de vous asseoir. Si vous m’eussiez fait demander, je me serais rendu à vos ordres… À l’instant je vais déballer les dentelles, les soieries, ce que j’ai de mieux. — Montrez-moi les fichus et les rubans, répondit Agathe en s’asseyant sur le siège improvisé et en retenant sur ses genoux l’enfant qui commençait à regarder autour d’elle d’un œil curieux. Mlle de Colobrières elle-même se prit à observer avec quelque surprise tout ce qui l’environnait. Les ballots de marchandises formaient une pile régulière au fond de la salle, et derrière cette espèce de paravent un homme dormait roulé dans son manteau de voyage. Ses éperons d’argent reluisaient dans la pénombre, et son fusil, droit contre le mur, était à portée de sa main. Cette mesure de précaution semblait motivée par le mauvais état des serrures du château et l’importance des valeurs contenues dans une valise placée sur la table. Au moment où Agathe était entrée, le marchand mettait sans doute en ordre sa comptabilité ; un portefeuille de maroquin dont les pages étaient barbouillées de chiffres était ouvert à côté de la valise, des flancs de laquelle s’échappaient des poignées d’écus de six livres entremêlés de louis d’or. Le propriétaire de cette grosse bourse était un homme encore jeune et d’agréable figure ; il ne paraissait pas au-dessus de sa condition pour le langage et les manières, mais il y avait dans sa physionomie quelque chose d’intelligent et de décidé qui lui tenait lieu de distinction. Il rejeta dans la valise, d’une main indifférente, toute cette belle monnaie dont la vue étonnait Agathe, et se mit à déployer ses fichus et ses rubans. Jamais Mlle de