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ainsi son mari. Au bout d’une demi-heure de silence, le baron soupira bruyamment, et dit en levant les yeux au plafond :

— Aujourd’hui quelqu’un m’a donné des nouvelles d’Agathe de Colobrières.

— Plaît-il, monsieur ? s’écria la baronne en faisant un soubresaut sur sa chaise et en regardant son mari d’un air d’étonnement effaré.

— Je dis qu’à la foire un marchand colporteur m’a donné des nouvelles d’Agathe de Colobrières, répondit froidement le baron.

— Sainte Vierge ! Et que vous a-t-il appris ?

— Des choses auxquelles j’étais loin de m’attendre, certainement. Agathe a eu plus de bonheur qu’elle n’en méritait. D’abord cet homme, son mari, ce Maragnon, est mort.

La vieille dame se signa.

— Ensuite, reprit le baron, il a laissé une très grande fortune.

— Y a-t-il des enfans ? demanda la baronne tremblante d’émotion.

— Il y en a eu plusieurs ; mais de toute cette belle lignée des Maragnon, il ne reste qu’une fille.

— Et le marchand qui vous a raconté cela a vu Agathe, peut-être ?

— Il l’a vue, et elle lui a dit que, si elle l’osait, elle m’enverrait des complimens.

— Pauvre femme ! murmura Mme de Colobrières.

— Elle aurait pu me les envoyer ses complimens, je ne les aurais pas reçus ! s’écria le baron en frappant du poing sur la table. Malheureuse ! elle ose prononcer encore le nom de Colobrières !… Elle ! Mme Maragnon !….

— Elle songe à nous…. Elle nous aime toujours, murmura la baronne.

— Qu’est-ce que cela vous fait, madame ? répliqua le baron d’un air indigné ; qu’y a-t-il de commun à présent entre nous et cette femme ? Je regrette vraiment de vous en avoir parlé.

À ces mots, il se leva et sortit brusquement comme pour couper court à cet entretien. La baronne demeura seule et plongée dans de profondes réflexions. Depuis trente ans le nom d’Agathe de Colobrières n’avait pas été prononcé en sa présence. Il était défendu de parler d’elle dans ce château où elle était née, et Gaston, ainsi que sa jeune sœur, ignorait jusqu’à l’existence de cette femme. Pourtant, elle leur appartenait de près ; elle était la propre sœur, la sœur unique du baron de Colobrières.

Trente ans auparavant, Mlle de Colobrières habitait le château paternel, dont elle n’était jamais sortie. Elle atteignait l’âge mûr des