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effet, le silence des hautes écoles, leur dédain, de la vie pratique et l’action énervante qu’elles pouvaient exercer. Peut-être y avait-il quelque imprudence dans cette levée de boucliers, car si M. Arnold Ruge et ses amis avaient réussi, avaient appelé à la vie politique les hommes éminens des universités, il est probable que ces hommes n’auraient pas défendu les doctrines des Annales de Halle. Les opinions extrêmes auraient trouvé, au contraire, en face d’elles un groupe naturellement sérieux et modéré. Quoi qu’il en soit, la plupart de ces critiques étaient justes, sensées, elles allaient directement à leur adresse, elles indiquaient un mal très réel, et on ne peut nier l’heureuse influence qu’elles produisirent.

Quelques mois après la brillante campagne des Annales de Halle, M. de Schelling, appelé à Berlin, ouvrait son cours par ces remarquables paroles : « Je ne viens point diviser les esprits, je viens les réconcilier ; j’arrive en messager de paix dans ce monde déchiré. Ce n’est pas pour détruire que je suis ici, c’est pour édifier, pour construire une forteresse où la philosophie habitera sans rien craindre. Or, j’entreprends cette tâche à une époque où la philosophie a cessé d’être le travail de l’école pour devenir l’affaire de tous. Je suis Allemand, je porte au fond de mon cœur le bonheur et la prospérité de ma patrie ; c’est pour cela que je suis à Berlin, car le salut de l’Allemagne est dans la science. La philosophie est engagée désormais dans toutes les questions du jour, dans ces vivans problèmes où il est interdit, où il est impossible de demeurer neutre. » Voilà de belles paroles, voilà de magnifiques promesses ; seulement l’illustre philosophe a-t-il rempli son programme ? hélas ! non. On ne reproche pas sans doute à l’éloquent professeur d’être resté dans ces hautes régions de l’étude où son imagination et sa pensée se jouent en de brillans systèmes ; on remarque cependant qu’il n’a pas tenu ce qu’il avait annoncé avec tant d’enthousiasme. De profondes études sur la mythologie antique n’étaient pas sans doute ce qu’on attendait de lui après cette généreuse profession de foi, et au moment où les esprits aspiraient à une nourriture plus fortifiante. M. de Schelling était arrivé à Berlin, il y a quatre ans déjà, au milieu des passions philosophiques les plus vives ; toute l’école de Hegel avait frémi en voyant reparaître, après le règne du maître, le chef d’un système qu’on avait dépassé ; il fallait se concilier les esprits, il fallait se créer un auditoire. M. de Schelling prononça alors les enivrantes paroles qu’on vient de lire, à peu près comme les souverains de l’Allemagne, en 1813, avaient inscrit sur leurs drapeaux les mots de liberté et de constitution afin de rallier