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propre. Eh bien ! transportez dans les questions politiques ces étonnantes doctrines, ces superbes singularités, comme parle Bossuet, et vous aurez le radicalisme absolu qui veut abolir la société et la refaire d’après le type idéal de la raison. Il importe de se rappeler que Fichte philosophait ainsi au moment où 92 bouleversait l’ancien monde, et qu’il a salué dans les œuvres de la convention l’accomplissement de sa doctrine. Avec Kant, avec Fichte, le radicalisme philosophique était allé aussi loin que possible ; une réaction était nécessaire. On sait comment elle se fit ; on sait comment M. de Schelling réclama au nom de la nature, au nom de l’histoire, contre la doctrine de Fichte. Le même mouvement s’accomplit dans la science politique. Il se forma une école historique qui substitua aux spéculations de la pensée, à la recherche d’un type absolu, l’étude attentive du passé. Cette école se rattachait d’abord à M. de Schelling, mais bientôt elle marcha toute seule, et, dans sa violente réaction contre le rationalisme qu’elle combattait, elle tomba dans l’erreur contraire, elle en vint à professer l’aversion la plus résolue pour toutes les spéculations de la pensée. L’école historique supprimait la philosophie, comme le rationalisme avait supprimé l’histoire. Cette distinction des deux écoles s’appliqua bientôt à toute chose, à la jurisprudence, à la religion, à la politique. En théologie, il s’agissait de savoir si l’on admettait le Christ absolu ou le Christ historique ; je me sers des termes consacrés. Le christianisme historique, c’est l’attachement à de certains symboles une fois admis, à certaines traditions reconnues comme sacrées ; les adversaires de ce christianisme, au contraire, s’attachaient à l’idée même du Christ, et se souciaient peu de la lettre, des traditions, de l’histoire ; ils la niaient même, et l’effaçaient sans pitié, comme le docteur Strauss dans son fameux livre. En politique, il y avait aussi l’état historique et l’état absolu ; la querelle était la même : ici, on étudiait les traditions, on avait foi en elles, on s’efforçait de les développer comme un germe fécond, on espérait en faire sortir des richesses inconnues ; là, on méprisait ces vaines expériences, et c’était à la raison seule que l’on demandait le type souverain, le divin modèle de l’idéale société qu’on imaginait. Ces détails peuvent sembler assez étranges dans la question qui nous occupe ; mais nous sommes en Allemagne, et il faut bien nous résigner à entendre parler une langue qui n’est pas la nôtre. Que le lecteur veuille bien ne pas trop sourire ; tout cela d’ailleurs a un côté instructif. Chacune de ces questions bizarres cachait un système, et ces systèmes vont bientôt se montrer à visage découvert. Seulement, n’est-il pas curieux de voir combien cette Allemagne nouvelle, malgré