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qui avait dignement partagé, aux plus mauvais jours, les souffrance de la patrie ; elle ajournait donc depuis vingt-cinq ans ses libres espérances. Aujourd’hui, tout est bien changé : à ces désirs patiens ont succédé, depuis l’avènement de Frédéric-Guillaume IV, les réclamations les plus énergiques. Or, ces demandes sont si pressantes, la certitude de triompher est si forte, que déjà, devançant l’époque où la constitution prussienne sera enfin publiée, les différens partis se préparent ; bien plus, ils sont formés dès à présent, ils sont en armes, et la discussion s’est ouverte comme au sein d’une assemblée représentative.

C’est en 1840 que Frédéric-Guillaume IV est monté sur le trône. On comprend que tout ce qui s’est passé depuis cette date ait dû singulièrement encourager les publicistes. Quand un pays entier est mûr pour une de ces révolutions intérieures, les évènemens qui surviennent, grands ou petits, ne font que hâter le dénouement inévitable vers lequel tout conduit les intelligences. En ce moment même, l’agitation religieuse et les problèmes infinis qu’elle soulève au sein des églises catholique et protestante ne semblent-il pas être une circonstance décisive, un avertissement irrésistible ? Le ministère saxon ne peut conjurer tous les périls qui menacent le culte évangélique qu’en d’adressant aux chambres, en délibérant avec elles, en leur soumettant les pétitions qui se succèdent sans relâche. La situation de la Prusse est plus difficile encore ; c’est dans l’Allemagne du nord, c’est à Berlin, à Halle, à Breslau, à Kœnigsberg, qu’a éclaté, avec le soulèvement des nouveaux catholiques, la discorde des églises protestantes. Assurément, si, depuis un an surtout, on a pu croire et annoncer très haut qu’une constitution serait prochainement octroyée à la Prusse, ces bruits sont maintenant plus fondés que jamais. Aussi, voyez comme les différens partis se dessinent avec plus de netteté ! Le monde des publicistes offre tout l’aspect d’une assemblée politique ; celui-ci représente le centre droit, celui-là est le chef du centre gauche. Il n’est plus permis, à Berlin, de demeurer neutre en ces vives questions. Des voyageurs qui viennent de passer un an loin de leur pays retrouvent, au retour, une société émue, passionnée, et sont obligés de choisir leur drapeau. En un mot, la vie politique, avec ses mouvemens et ses inquiétudes, existe enfin dans ce pays, et peut-être est-il permis de répéter, à propos des libertés nouvelles, ce que M. Mignet a dit de la convocation des états-généraux en 89 : Quand le ministère prussien déclarera que la Prusse est un pays. constitutionnel, il ne fera que décréter une révolution déjà faite.