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plus être pairs, se feront nommer députés. » Je me souviens que beaucoup alors riaient de cette crainte ou de cette prévision, qui semblait étrange en 1831. Que pensent aujourd’hui les rieurs ?

Je me hâte de dire que, selon moi, ce n’est pas seulement parce que la pairie n’est plus héréditaire que les jeunes gens des grandes familles affluent dans la chambre des députés ; c’est aussi et surtout parce qu’on n’entre plus à la chambre des pairs que par la porte des fonctions publiques ou par la chambre des députés. Or, les fonctions publiques ne conviennent guère aux jeunes gens de grande famille qui se destinent à la vie politique ; il y faut un labeur trop spécial et trop étroit. De plus, avec les fonctions publiques, on ne devient admissible à la pairie que lorsqu’on est arrivé aux grades les plus élevés. Or, ces grades ne s’acquièrent qu’avec le temps, et on risque fort, de cette manière, de n’entrer dans la vie politique qu’à cinquante ans. Reste, pour les jeunes gens dont je parle, l’autre route, la chambre des députés ; mais j’ai déjà dit pourquoi et comment on s’arrête volontiers en chemin.

Ah ! si le jour où l’hérédité a été abolie, on y avait substitué l’élection, soit directe, soit indirecte, je ne doute pas que notre jeune aristocratie constitutionnelle, au lieu de se détourner vers la chambre des députés, n’eût cherché à se faire sa place dans la chambre des pairs. Puisqu’elle a bien voulu, pour entrer dans la vie politique, accepter l’épreuve de la candidature électorale, elle l’eût fait d’aussi bon cœur pour entrer au Luxembourg que pour entrer au Palais-Bourbon. Alors la pairie, à la fois élective et viagère, aurait pu devenir le centre et le noyau de cette aristocratie constitutionnelle, que nous avons imprudemment forcée de se transplanter.

Quoi qu’il en soit, la révolution que prévoyait M. Thiers est faite aujourd’hui. Un des premiers effets de la constitution de la pairie en 1831, et de l’établissement des catégories, a été d’écarter de la chambre des pairs les hommes politiques et cette jeunesse aristocratique constitutionnelle que le Luxembourg autrefois s’appropriait, et : qui, chassée du Luxembourg par l’abolition de l’hérédité et la non-électivité de la pairie, a dû se réfugier dans la chambre des députés. On n’a voulu qu’elle fût là où elle devait être ; elle s’est placée là où on ne voulait pas qu’elle fût.


V.

J’ai aminé l’effet général des catégories ; il faut les étudier de plus près, afin de voir leur bon et leur mauvais côté. N’oublions pas