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chambre des députés, qu’il me paraît étrange qu’ils aient une autre chambre, qui semble, grace aux catégories, leur appartenir plus spécialement. Si les emplois publics doivent être représentés dans les deux chambres, ils ne doivent pas y avoir une représentation exclusive et prépondérante. Ajoutez que les fonctionnaires publics qui entrent à la chambre des députés y entrent à titre d’élus du peuple, non à titre de fonctionnaires publics, tandis qu’à la chambre des pairs ils entrent à titre fonctionnaires et à raison de la durée même de leurs fonctions.

Il faut le dire, la chambre des pairs semble organisée de manière à avoir le moins d’hommes politiques possible et le plus de fonctionnaires publics, à n’être une assemblée politique que par tradition et par habitude, et à être, par la condition même de ses membres, un grand conseil administratif. En effet, pour qu’un fonctionnaire public devienne pair de France, il n’a qu’à laisser faire au temps et à se ménager les bonnes graces du ministère. Le temps et le savoir-faire font les frais de sa candidature. Comment, au contraire, un homme politique pourra-t-il entrer à la chambre des pairs ? Rien ne l’y porte naturellement, et tout l’en écarte. Pour être pair, tâchera-t-il d’abord d’être député ? Mais, s’il réussit, il sera peut-être fort tenté de rester député, tant du moins qu’il sera éloigné de l’âge du repos. Il aimera mieux l’atmosphère politique de la chambre des députés, atmosphère chaude et animée, que la tiède température de la chambre des pairs. Il sentira que c’est dans la chambre des députés qu’est le pouvoir, et c’est là qu’il cherchera à se consolider. De là, un grand inconvénient pour la chambre des pairs ; n’étant point recherchée par les hommes politiques, elle ne sera pas une assemblée politique. Cette aristocratie constitutionnelle souhaitée par M. Guizot, ce n’est pas dans son sein qu’elle se formera, et même, ne nous y trompons pas, c’est hors de son sein qu’elle se formera.

C’est dans la chambre des députés qu’elle, se formera, et, j’ai tort de parler au futur, elle y est déjà formée ; elle y existe, elle y a une grande et légitime influence qui s’augmentera chaque jour. Les organes du parti radical l’y ont déjà reconnue et signalée ; ils l’ont appelée la jeunesse dorée.

Dans la discussion de la pairie, en 1831, M. Thiers avait admirablement prévu cette conséquence de l’abolition de l’hérédité. « Vous voulez, disait-il, abolir l’aristocratie dans la chambre des pairs ; mais, comme vous ne pouvez pas l’abolir dans la société, elle entrera dans la chambre des députés. Les jeunes gens des grandes familles, ne pouvant