Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/556

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous vouliez, à l’aide de la pairie, avoir une aristocratie constitutionnelle ; vous avez, par le vice inhérent aux catégories, une hiérarchie de fonctionnaires retraités. Où sont, dans la pairie, ces situations permanentes, élevées, qu’appelait M. Guizot ? Cette classe d’hommes politiques qui font habituellement et naturellement des affaires publiques leur étude, leur état, est-ce la classe des fonctionnaires publics ? J’aurais bien mauvaise grace à médire des fonctionnaires publics ; mais il m’est permis de dire que, s’il est des fonctionnaires publics qui deviennent hommes politiques, il n’est pas nécessaire cependant d’être fonctionnaire pour devenir un homme politique. L’homme politique, tel surtout que l’entendait M. Guizot, tel que l’entendent les Anglais, ne se forme pas comme le fonctionnaire public ; il n’a pas les mêmes commencemens, il n’a pas le même but. Le fonctionnaire public aime à être de bonne heure dans la carrière ; il veut en parcourir vite tous les degrés, afin d’arriver le plus tôt possible aux plus élevés. Il est auditeur, maître des requêtes, conseiller d’état ; il est capitaine, colonel, général de brigade, lieutenant-général. La vie politique, s’il y entre, est pour lui l’accessoire ; la vie militaire ou administrative est pour lui le principal. L’homme politique, au contraire, a pour caractère principal de n’entrer d’abord dans aucune carrière spéciale ; il n’est ni marin, ni soldat, ni préfet, ni juge, ni professeur ; il est un peu tout cela ; il étudie les affaires publiques dans leur variété infinie ; il recherche quels sont les intérêts du pays, quels sont ses besoins, quels sont ses penchans ; il se prépare à la tribune par l’exercice de la parole ; il voyage, pour connaître les sociétés étrangères, et les comparer à la société à laquelle il appartient. Avec cette divers ! te d’études, il est, selon la force de son intelligence, superficiel ou universel, un bavard prétentieux ou un orateur éloquent. On voit quelle différence il y a entre l’éducation de l’homme politique et du fonctionnaire public. Le but aussi est différent. L’homme politique vise à être ministre ; le fonctionnaire public vise à être administrateur. Une société qui ne serait conduite que par des hommes politiques risquerait de n’être point administrée. Ses grandes affaires seraient bien faites ; ses affaires quotidiennes seraient fort mal faites. Il faut donc qu’une société ait à la fois des hommes politiques et des fonctionnaires publics. Il faut même que, dans la chambre et dans le ministère, il y ait à la fois des hommes politiques et des administrateurs. Aussi, j’ai toujours pensé qu’il était nécessaire que les fonctionnaires publics fussent admis à la chambre des députés dans une juste mesure ; mais c’est précisément parce que je crois bon qu’ils aient entrée dans la